Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
Vom Netzwerk:
m’ouvris plus tard à mon père de ces scrupules, mais il
ne fit qu’en rire.
    — Babillebahou, mon fils ! dit-il, pourquoi
renonceriez-vous à vos songes, puisqu’ils vous charment sans offenser
quiconque ? Voudriez-vous, inversant vos années, avoir quatre-vingt-un ans
au lieu de dix-huit ans ? Et de reste, si j’en juge par votre grand-père,
même à quatre-vingt-dix ans, on peut ne pas être sage encore…
    Quant à Toinon, elle ne fut pas sans s’apercevoir de
l’émeuvement où sa présence m’avait jeté. Elle me lança un regard vif, un seul,
et ce fut tout. « Voilà fille, m’apensai-je, qui est plus maîtresse
d’elle-même que je ne suis. »
    — Eh bien, Toinon, comment t’en va-t-il par ce ciel
gris d’octobre ? dit mon père.
    — Fort bien, Monsieur le Marquis, je vous en remercie.
    — Franz, dit mon père à notre majordome qui ouvrait la
porte toute grande pour laisser passer Mariette portant des deux mains une
soupière pleine d’une compote de poires fumante et odorante, donne une chaire,
je te prie, à notre Toinon. Veux-tu des poires, Toinon ?
    — Non merci, Monsieur le Marquis.
    Mon père attendit pour reprendre l’entretien que Mariette
nous eût à tour de rôle servis. Toutefois, quand elle eut terminé, elle se
retira derrière la chaire paternelle et au lieu de poser la soupière sur la
table, elle la garda calée contre son ventre, bien que sans doute il lui en
cuisît, sacrifiant ainsi son bien-aise à sa dévorante curiosité.
    — Eh bien, Toinon, dit mon père, qu’as-tu à nous
dire ?
    — J’ai à vous dire, Monsieur le Marquis, qu’ayant vu
passer votre carrosse avant-hier dans la rue, je l’ai trouvé tout à plein
dépeint et dédoré et les rideaux des fenêtres, fort défraîchis.
    Ce début était si surprenant que mon père ne sut qu’en
penser car depuis que Toinon nous avait quittés pour marier le maître boulanger
Merilhou, quand elle nous revenait voir, c’était pour qu’on s’occupât de ses
affaires et non point pour nous parler des nôtres.
    —  Ch’est bien vrai, chela ! Que ch’est bien une honte pour un marquis ! dit Mariette.
    — Que fais-tu là, Mariette ? dit mon père en
tournant la tête par-dessus son épaule.
    — J’attends pour vous rechervir, Monchieu le
Marquis. Vu que tant est bonne la compote de Caboche que vous allez en
revouloir.
    — Eh bien, attends, ma commère, mais sans déclore le
bec. Poursuis, Toinon.
    — Pour vos rideaux, Monsieur le Marquis, votre Margot,
qui est fort habile couseuse de soie et brodeuse d’or sur soie…
    Toinon s’interrompit, comme surprise elle-même de faire
l’éloge de Margot qu’elle avait si fort détestée, quand elle était chez nous,
opinant que la nouvelle venue avait pris le pas sur elle, donnant soin et
soulas à un marquis et non point, comme elle, à un chevalier.
    — Bref, dit-elle, pour les rideaux, Margot pourrait en
faire des neufs et des jolis, et qui plus est, en soie et non en coton, comme
ces quasi-lambeaux qu’on voit qui pendent là.
    — Mais, dit La Surie, des rideaux de soie jureraient
avec l’état présent du bois.
    — C’est bien pourquoi, dit Toinon, que je m’apense
qu’il faudrait le repeindre et redorer le carrosse de haut en bas. Comme il est
là, il fait pitié ! N’étaient vos armes, Monsieur le Marquis, sur la
portière, on croirait qu’il est de louage…
    — Je ne vois pas l’urgence, dit mon père, de ce
requinquement.
    — Oh si, Monsieur le Marquis, dit Toinon, avec la
dernière vivacité, il y a urgence ! Je pense bien qu’il y a urgence !
Une grande urgence même, vu les événements !
    — Quels événements ?
    — Le sacre de notre petit roi ! À Reims ! Le
quinze de ce mois ! Auquel vous serez sûrement invité !
    — Même, dit Mariette, que Madame la Duchesse cherait dans ches fureurs, chi elle vous voyait apparaître à Reims en chi piètre équipage.
    — Paix-là, Mariette ! dit mon père. Je gage,
Toinon, poursuivit-il en se tournant vers elle, que tu as un peintre-doreur que
tu désires me présenter ?
    — Oui-da, Monsieur le Marquis ! dit Toinon sans la
moindre vergogne : mon frère Luc. Et meilleur compagnon en son métier que
mon frère Luc, on ne trouverait mie sur la place de Paris. De reste, il
travaillait chez le maître Tournier. C’est dire !
    — Il travaillait ? Il ne travaille plus ?
    — Le maître Tournier l’a désoccupé.
    — Ton frère Luc

Weitere Kostenlose Bücher