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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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des
Tuileries.
    — C’est là, en effet, une grande commodité, dis-je.
    — C’est bien plus qu’une commodité, dit Luynes en se
penchant à mon oreille et après avoir jeté autour de lui un œil circonspect.
    — Comment cela ?
    — C’est une sûreté, Monsieur de Siorac. J’en étais
arrivé à redouter de sortir, à la nuit tombée, du Louvre pour gagner mon logis.
Un coup d’épée dans l’ombre est si vite donné.
    — Monsieur, dis-je, auriez-vous reçu des menaces ?
    — Oui-da ! Et de qui vous savez.
    — D’un prince ?
    — Nenni, nenni. D’un personnage qui a montré à trois
reprises qu’il faisait peu de cas de la vie d’un homme.
    — Et que vous a dit ce personnage ?
    — Ceci, qui était fort clair : « Monsieur de Louine, je m’aperçois bien que le roi ne me fait pas bouonne mine. Mais vous
m’en répondrez. »
    À tel qui verra de l’exagération dans les craintes de
Monsieur de Luynes et de l’excès dans ses précautions, je répondrai qu’il
n’avait que trop de raisons de se méfier. Le maréchal d’Ancre n’était pas qu’un
aventurier avide et sans scrupule : il avait, dans les occasions, la tripe
sanguinaire… Se trouvant à Paris pendant notre voyage en Guyenne, il fut
repoussé de la Porte de Buci, par où il voulait sortir de la capitale, par un
cordonnier nommé Picard, lequel, étant sergent de la rue de la Harpe et se
trouvant de garde à ladite porte, lui refusa l’exit pour ce qu’il n’avait pas
de passeport. Conchine attendit son heure, et quand la reine-mère fut revenue
en Paris, et se sentant alors sûr de l’impunité, il fit bâtonner le cordonnier
par ses valets et le laissa pour mort sur le pavé. À Amiens, où il pensait
qu’il pouvait tout faire puisqu’il en était le gouverneur, il fit tuer par
traîtrise le sergent-major Prouville, à l’encontre duquel il avait conçu des
soupçons et des ombrages. Un an auparavant, il avait attenté en Paris de faire
disparaître Riberpré, lequel n’avait échappé que de justesse à ses assassins.
    Cette humeur impiteuse et vindicative rendait Concini
d’autant plus redoutable que sa femme, depuis le voyage en Guyenne, étant
redevenue toute-puissante sur l’esprit de la reine-mère, il n’avait plus qu’une
ou deux marches à gravir pour n’avoir plus de rival à la tête de l’État. On
s’en aperçut quand le bruit courut que la reine-mère n’allait pas tarder à
renvoyer les vieux ministres pour mettre en place des hommes nouveaux. Déjà,
Sillery avait dû démissionner, remplacé par Monsieur du Vair. Et d’après les
on-dit de cour, Villeroy et Jeannin n’étaient qu’en sursis.
    Il y avait belle heurette [86] que la
Cour désignait sous le nom de Barbons les ministres qu’on allait
disgracier. Leur carrière sous le harnais des affaires politiques avait été si
longue que leurs barbes avaient eu le temps de blanchir et leurs cheveux, de se
clairsemer. Sillery avait soixante-douze ans, Villeroy, soixante-quatorze.
Jeannin, soixante-treize. Toutefois, ni la mémoire, ni la langue, ni l’esprit,
ne faillaient à aucun d’eux. C’est par la grâce de Catherine de Médicis qu’ils
avaient été hissés si haut, et par une curieuse rencontre, c’est par la
défaveur de Marie de Médicis qu’ils devaient choir de leur élévation.
    — Nous allons les regretter, dit le marquis de Siorac,
tandis que, dans la librairie, nous attendions que Mariette vînt nous appeler
pour le souper.
    — Qu’est cela, Monsieur mon père ? dis-je, étonné.
Si bien je me ramentois, du temps de notre Henri, vous n’étiez que pointes et
sarcasmes à l’endroit des Barbons, les appelant « ligueux »,
« Espagnols », que sais-je encore ? Allons-nous ce jour d’hui
les pleurer ?
    — « Ligueux », certes, ils l’étaient. Et
« Espagnols », ils le furent toujours. Raison pour laquelle notre
Henri ne se servait d’eux qu’avec de longues pincettes. Néanmoins, il les
employait. La raison en était que, si aveugles qu’ils fussent dans les affaires
du dehors, ils avaient, outre leur habileté et leur expérience, le souci des
intérêts de l’État dans les affaires du dedans. Et croyez-moi, Monsieur mon
fils, depuis six ans que notre Henri est mort, les choses eussent été bien
pires, si les Barbons n’avaient pas été là. Ils ont, dans une mesure
point petite, modéré, bridé, et par moments même, contrecarré, l’influence de
la Conchine. Et elle

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