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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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naturels, ayant
au cœur, j’imagine, l’amour de leur nation. Ne voudront-ils pas brider et
modérer Conchine s’il va trop loin ?
    — Ils croient sans doute le pouvoir faire, mais ils ne
le pourront pas. Conchine est un monstre d’orgueil et de violence. Il a fait
ces ministres. Et s’ils s’avisent de regimber, il les défera. Monsieur le
Chevalier, reprit Déagéant, ce commentaire ne fait pas partie de mon message.
Plaise à vous de ne pas en faire état dans votre résumé.
    — Ne pourrait-il être utile au roi ?
    — Je le décrois. Le roi sait plus de choses qu’on ne
pense et d’après Luynes, il entend fort bien les périls de la situation.
    Je ne sais pourquoi cette façon de dire, apparemment si
froide, me donna quelque angoisse et je dis :
    — Monsieur Déagéant, parlant à moi au bec à bec,
estimez-vous que Louis dans les mois à venir puisse courir un danger ?
    Déagéant, les deux mains posées à plat sur ses genoux et les
paupières baissées, s’accoisa et je commençais à croire qu’il ne désirait pas
me répondre, quand levant tout soudain les yeux et les fichant dans les miens,
il dit du ton le plus uni :
    — Grandement.
    Cette réponse me laissa béant, et quand la voix me revint,
elle était si sourde que je ne la reconnus pas.
    — Grandement ! dis-je. Y va-t-il de sa
liberté ? De sa couronne ? De sa vie ?
    Déagéant hocha la tête et je repris avec la dernière
véhémence :
    — Monsieur Déagéant, peux-je vous demander sur quoi se
fondent vos alarmes ?
    — Avant tout sur le caractère de Conchine. Vous vous
ramentevez sans doute de la grande peur qui s’empara de lui quand Condé lui fit
dire qu’il « n’était pas son ami ». Cette terreur, je l’ai vue de mes
yeux. J’étais là, avec Barbin. Conchine protesta alors, presque pleurant et la
lèvre pendante, que s’il revenait un jour à la Cour, jamais, au grand jamais il
ne se mêlerait de gouvernement, et se contenterait désormais de ce qu’il
faudrait de pouvoir pour établir la sûreté de sa fortune, car il se rendait
bien compte que c’était sa grande autorité dans l’État qui lui avait valu la
haine du monde entier.
    — Voilà, pour une fois, des propos sensés !
    — Mais qu’il contredit du tout au tout dès que
l’arrestation de Condé le remit en selle !
    — Et que dit-il ?
    — Il posa à Barbin une question insidieuse. Il lui
demanda si à son sentiment il n’y aurait plus de danger pour lui à ce qu’il se
mêlât à nouveau des affaires politiques…
    — Et que répondit Barbin ?
    — « Excellence, je ne vois point de raison qui
puisse vous en empêcher. »
    — Et pourquoi diantre Barbin fit-il une réponse de
cette farine ?
    — C’est bien ce que je lui ai demandé. À son avis,
Conchine était déjà résolu à reprendre, et même à augmenter, son autorité dans
l’État et Barbin était bien assuré qu’il l’aurait fait, quoi qu’il lui
conseillât.
    — Quelle conclusion tirez-vous, Monsieur Déagéant, de
cet entretien ? dis-je au bout d’un moment.
    — D’abord que Barbin est décidé à aller assez loin dans
la souplesse et la soumission pour demeurer ministre. Ensuite – et c’est
là le plus important à mes yeux – que Concini est décidé à pousser
jusqu’au bout sa fortune. Autrement dit, c’est pour se revancher de la terreur
panique qu’il a éprouvée au moment où il a quitté Paris qu’il aspire maintenant
au pouvoir. Et autant il tremblait alors, autant il se montrera arrogant,
tyrannique, voire cruel, s’il s’y établit et s’y maintient.
    — Pourrait-il s’en prendre à Louis ? dis-je au
bout d’un moment, et à voix basse, comme si rien que de poser cette question me
paraissait impie.
    — Pas encore, dit Déagéant. Tant pour consolider son
pouvoir que pour se venger de Condé et des Grands, il va d’abord s’en prendre à
eux. Il n’épargnera rien pour les vaincre et les détruire. Et c’est bien
pourquoi il a choisi des ministres résolus et qui fussent bien à lui.
     
    *
    * *
     
    Mon père était en tout mon confident. Et quand je dis
« mon père », j’inclus La Surie qui, s’il ne parle pas toujours de la
même voix que mon père, parle du moins du même cœur. Mais bien que je connusse
sa discrétion, je ne sus de longtemps décider si je devais ou non toucher mot
de mes missions à ma comtesse palatine, justement parce qu’elle était palatine,
et qu’il s’agissait

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