L'Enfant-Roi
attendu davantage, le roi n’aurait plus la couronne
sur la tête » : vanterie d’autant plus stupide qu’elle justifiait
amplement qu’on le fît prisonnier, alors que dans le même temps il suppliait à
cor et cri la reine-mère, par l’intermédiaire de Luynes et de Barbin, qu’elle
le remît en liberté.
Barbin n’avait pas laissé de redouter que cette arrestation
ne fût suivie dans Paris par une action des princes et un soulèvement
populaire. Mais les princes, loin de voler au secours de leur chef, ne
songèrent qu’à jouer à la fausse compagnie. Trouvant les portes de la capitale
ouvertes, ils les passèrent au grand trot de leurs carrosses dorés, et
retournèrent chacun dans son gouvernement respectif, se mettant aussitôt à
l’abri de ses murailles. Comme on ne les poursuivait pas, ils ne tardèrent pas
à redresser la crête, levèrent des troupes et redevinrent menaçants.
Seule la princesse douairière de Condé – la mère de
notre prisonnier – monta vaillamment à cheval et parcourut les rues de
Paris pour émouvoir le peuple, lequel ne s’émut guère. Il y eût fallu au moins
la pucelle, montée sur son blanc palefroi, et la princesse n’avait point une
tant belle image. Les Parisiens connaissaient son passé, ses procès, son page,
et ses poisons. De son côté, le cordonnier Picard, qui avait sur le cœur les
coups de bâton donnés par les valets de Conchine, souleva quelque partie du
peuple, qui faute de pouvoir mettre la main sur le maréchal, alla s’en prendre
à sa maison.
Ce fut du haut en bas une terrible dévastation. On tailla
les étoffes, on brisa les meubles, on saccagea le jardin. Tout ce qui ne
pouvait pas être emporté fut détruit. Pourtant, cette furie ne fut pas si
aveugle qu’on eût pu le croire. Les émeutiers tirèrent à l’arquebuse contre le
portrait du Conchine et celui de sa femme, et comme si cela ne leur paraissait
pas encore suffisant, ils déchirèrent les toiles avec leurs couteaux. Pour le
portrait de la reine-mère, ils se contentèrent de le décrocher et de le jeter
par la fenêtre dans la rue, où on le retrouva sali, mais non détruit. En
revanche, pas un d’entre eux ne toucha au portrait du roi : il demeura
seul, immaculé, intact, sur un mur dont toutes les tentures avaient été salies
et arrachées. Quand je sus ce détail, je fus transporté d’aise et le cœur me
battit.
*
* *
Une quinzaine de jours après l’arrestation de Condé, Déagéant
me vint visiter en mon appartement du Louvre. J’étais à mon souper, je
l’invitai à le partager à la franquette, offre qu’il accepta après qu’il se fut
assuré de sa sincérité par de courtois refus et mes pressantes instances.
Par bonheur, c’était une repue de viandes froides et je pus
incontinent dépêcher La Barge et Robin à leurs dés, leur flacon et les Iliades
de leurs amours.
— S’il vous agrée, Monsieur Déagéant, voulez-vous que
nous mangions de prime ? Nous parlerons après. J’aurai l’esprit plus libre
pour me loger vos nouvelles en cervelle.
Il acquiesça et tandis que, sans un mot, nous jouions des
mâchoires, je lui jetai un œil ou deux. Tel que mon père me l’avait décrit, cet
homme-là, assurément, n’était point venu au monde pour batifoler, mais pour
creuser son sillon, droit et profond, jusqu’à la mort. Respectueux des rangs et
des usages, mais point servile, ni ignorant de sa propre valeur, homme de peu
de paroles, mais chacune d’elles portant déjà son poids d’action, fort entendu à
la politique mais sans esprit d’intrigue, sauf au service du roi, pour lequel,
selon mon père, il aurait tout fait et tout donné.
— Eh bien, Monsieur Déagéant, dis-je, dès que nos
assiettes furent vides, quelles nouvelles ?
— Désastreuses, dit-il, son air froid contrastant avec
la gravité de ses paroles. Et quand elles seront connues, dans deux ou trois
jours, il n’est pas un fils de bonne mère en France qui ne les trouvera telles.
En deux mots, la hache est à la parfin tombée sur les Barbons. Villeroy
et Jeannin ont rejoint Sillery dans la disgrâce et la reine-mère a nommé à leur
place un triumvirat : Barbin, Mangot, Richelieu. Tous choisis par la
Conchine, en l’absence de son mari, mais avec son agrément.
— On les dit gens d’esprit, d’allant et de ressources.
— Ils le sont, dit Déagéant avec une moue. Et c’est
bien là le pire.
— Pourtant, ils sont, eux, des Français
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