Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
Vom Netzwerk:
parler sans que leur hôte leur donnât la moindre réplique. Et
bien que Carajac ne parût pas économiser ses oreilles autant que sa langue, le
parleur pouvait toujours se demander si l’écouteur trouvait intérêt à ses
propos, ne recevant jamais, en réponse, que de petits grognements.
    À ce profond silence succéda un énorme fracas. La Cour
survint le quatorze octobre dans un tumultueux roulement de roues sur le pavé
de Reims, les chevaux hennissant, les cochers échangeant des jurons et les
majordomes hurlant des ordres auxquels personne n’obéissait.
    Le bon docteur Héroard, ne trouvant pas à se loger au palais
épiscopal avec la famille royale et les Guise, demanda gîte et couvert à
Carajac. Il n’avait point fait ses études en même temps que lui, mais il avait,
comme lui, appartenu à l’illustre École de médecine de Montpellier : ce
titre-là suffisait.
    La présence d’Héroard fut une joie pour nous trois, non
qu’il abordât à table le sujet qui nous tenait tous trois à cœur – il
était bien trop avisé pour cela –, mais le soir même, alors que, bougeoir
au poing, nous gagnions nos chambres désignées, il chuchota à mon père de le
venir trouver dans une demi-heure, avec La Surie et moi dans la sienne.
    Ayant été choisi neuf ans plus tôt comme médecin du dauphin
par Henri IV, et contre le gré de la reine, pour la seule raison qu’il
était huguenot converti (« la caque sent toujours le hareng »),
Héroard avait craint le pire à la mort du roi, non plus tant à cause de son
ancienne religion (car depuis le début de ses fonctions auprès du dauphin, il
allait à messe, à confesse et à communion avec une régularité d’horloge), mais
pour ce que la régente le soupçonnait d’être fort attaché au petit roi, et le
petit roi, à lui.
    Rien n’affine plus l’esprit d’observation que la
persécution. Sentant venir le péril, le médecin et son petit patient
feignirent, par un accord tacite, de mettre une apparente froideur dans leurs
relations. Les espions de la reine en furent dupes. Monsieur de Souvré, le
gouverneur de Louis, était aussi pesant d’esprit que de corps. En revanche, le
père Cotton, le jésuite qui tenait Louis une grande heure à confesse, était fin
comme l’ambre. Mais l’un comme l’autre opinèrent qu’Héroard, bon médecin et bon
catholique, était inoffensif et effacé. Bref, il était tout juste bon à prendre
le pouls du roi, à mirer ses urines ou à examiner ses matières. On n’avait donc
pas motif de craindre son influence. Et de fait, la foudre ne tomba pas sur
lui, mais sur le précepteur Yveteaux qui commit l’erreur de
« babiller » sur l’avancement des Concini. La reine le sut dans
l’heure et, une heure plus tard, Yveteaux dut faire ses paquets.
    Héroard n’était point effacé, loin de là, mais s’enveloppait
dans une extrême circonspection. S’il nous confia, cette nuit-là, quelques
petites choses sur Louis, c’est qu’il nous savait au petit roi tout dévoués. Et
encore fut-il bien loin de nous parler à cœur ouvert. Sa prudence était telle
qu’il n’énonçait jamais que les faits – les faits seuls – sans prononcer
le moindre jugement sur eux.
    — En août dernier, nous dit-il, comme nous revenions de
Gentilly, Louis et moi, notre carrosse revint par le faubourg Saint-Jacques où
est logé, comme vous le savez, une partie du régiment des gardes. Et Louis
aperçut, sur les remparts, une troupe de soldats rassemblés autour d’un grand
mât au sommet duquel était attaché un garde, les mains liées derrière le dos.
« Qu’est cela ? » dit Louis en faisant arrêter le carrosse.
« Sire, dit le capitaine de Vitry qui se trouvait avec nous, c’est une
punition que l’on appelle l’estrapade. La corde qui tient le puni coulisse en
haut du mât par une poulie et elle est tenue à terre par plusieurs soldats qui,
au commandement du sergent, la lâchent tout soudain. Le puni ligoté tombe du
haut du mât dans le vide et ne s’arrête, la corde se tendant, qu’à deux pieds
du sol. La secousse, dans tous les membres, est extrêmement brutale, et plus
terrible encore l’appréhension de s’écraser au sol. On répète cette chute
autant de fois que la punition le comporte.
    — Monsieur, dit Louis, arrive-t-il que le puni en
meure ? – Il est arrivé que la maladresse, ou la méchantise des
soldats qui tiennent la corde, n’ait pas arrêté la chute à

Weitere Kostenlose Bücher