L'Enfant-Roi
poursuivit-elle en se tournant vers
moi, on voit bien que vous êtes neuf en ces matières. Étranglé, le garcelet
mourra dans l’instant. Pendu, il lui faudra vingt minutes pour passer de vie à
trépas.
Je me souvins alors avoir ouï dire à mon père quelle mort
atroce était la pendaison. Je jetai un demi-écu au bourreau et un demi-écu à
l’exempt, lequel dit, après l’avoir attrapé au vol :
— Je n’aime point cela. Le pâtiment du pendu fait
partie de la peine.
Néanmoins, il empocha le demi-écu et fit un signe au
bourreau. Celui-ci en un tournemain brisa la nuque du garcelet et écrasa sa
pomme d’Adam. Le supplicié s’affala et serait tombé, n’était que l’aide du
bourreau le maintint debout, le temps que le bourreau lui passât la corde au
cou. Mais quand on le hissa au gibet, il ne dansa pas désespérément dans les
airs pour y trouver un appui pour ses pieds, ayant déjà échappé au monde cruel
des hommes.
— Que c’est grande pitié ! dit la commère, les
larmes lui coulant sur les joues. Il était si jeune !
— C’est justice ! dit l’exempt d’un air roide et
vertueux.
— Justice ! s’écria la commère très à la fureur.
C’est là une justice à la façon des araignées : les moucherons sont pris,
mais les gros bourdons passent à travers la toile…
— Surtout quand ils sont italiens ! cria une voix
dans la foule.
— C’est là propos puant et rebellant ! menaça
l’exempt. Qui a dit cela ?
Mais à cette question la foule se mit à gronder si fort
qu’il n’insista point, et s’entourant de ses gardes, il quitta la place.
Par ces temps de froidure et de grande détresse, les vols se
multipliaient et c’était pour tâcher de les enrayer qu’on dressait des gibets
un peu partout en Paris. Mesure, disait mon père, qui restait sans effet :
entre la mort par pendaison et la mort par gel et famine, quel misérable
hésiterait à choisir la première en volant pain et bûche, puisqu’à la
différence de la seconde, elle n’était certaine que s’il se faisait prendre ?
Il n’empêche qu’à le comparer à la marquise d’Ancre comme avait fait en son ire
le populaire, j’avais trouvé le moucheron bien petit et, bien infime, sa
volerie. J’avais encore dans l’oreille le sinistre craquement de sa nuque quand
le bourreau de ses doigts épais lui avait rompu le col.
En ces sombres jours, le monde me paraissait mauvais, le
présent, sans joie, l’avenir, incertain. Car bien que Bassompierre, craignant
que le laissez-passer de Madame de Lichtenberg se perdît par poste et chevaucheur,
eût fort généreusement proposé de le lui porter lui-même à Heidelberg – ce
que je n’eusse pu faire moi-même, en raison de mes fonctions au Louvre –,
il ne m’échappait pas que le voyage ou plutôt le déménagement de ma Gräfin et son établissement en Paris ne se pourraient faire avant plusieurs semaines,
sinon plusieurs mois. « De toute façon, m’avait dit Bassompierre en
partant, un point demeure obscur : je ne sais si le régent du Palatinat
autorisera Madame de Lichtenberg à quitter son pays. » J’avais manqué
défaillir à ouïr une parole pour moi si terrible.
Je logeais au Louvre assurément, mais cette grandeur si
enviée n’éblouissait pas mes yeux. Je pensais souvent à mon logis du Champ
Fleuri – nid et cocon de mes enfances – et plus que je n’aurais
voulu, me manquait le commerce quotidien de mon père, de La Surie et aussi de
nos gens, tous à moi si affectionnés, et moi à eux. Dans cet immense Louvre, si
grandiose mais si peu accueillant, je me sentais comme en exil du petit royaume
dont j’avais été le prince. Et d’autant que le vrai prince de ces lieux ne
s’était pas départi à mon endroit de la froideur qu’il m’avait montrée quand le
grand chambellan m’avait présenté à lui. J’en étais à me torturer les méninges
pour deviner la cause de cette attitude sans qu’Héroard, toujours aussi
distant, m’eût permis à ce jour de l’approcher pour lui en toucher mot.
Chose étrange, je ne me souviens pas du jour précis où dans
le courant de janvier, le soleil tout soudain se remit à luire pour moi et
chose plus étrange encore, bien que ce jour fût à marquer d’une pierre blanche,
je ne l’ai pas noté dans mon Livre de raison. Mais je me ramentois la
scène comme si c’était hier, tant elle est fraîche encore en ma remembrance.
Par cette glaciale matinée, il y
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