L'énigme de l'exode

sais ce que je fais, ne vous inquiétez pas. De toute façon, c’est ça ou rien. J’ai déjà eu assez de mal à convaincre monsieur Griffin de...
    Elle s’interrompit. Contrariée, elle se rendit compte qu’elle en avait déjà trop dit. Augustin n’insista pas, préférant ne pas se la mettre à dos. Il y avait un tabouret devant les étagères. Elle alla le chercher et se hissa au-dessus de la tête du blessé pour examiner son cuir chevelu, qu’elle nettoya soigneusement en écartant les mèches de cheveux. Augustin avait le visage à la hauteur de son chemisier et aperçut le bonnet blanc d’un soutien-gorge austère. Elle lui appliqua un désinfectant et il fit de son mieux pour ne pas laisser paraître sa douleur. Puis elle descendit du tabouret et lui souleva les paupières pour examiner le fond de l’œil. Ses pupilles, au milieu d’iris bleus, se dilatèrent en même temps que les siennes.
    — Retirez votre chemise, je vous prie.
    — Comment vous appelez-vous ?
    — S’il vous plaît, vous avez entendu monsieur Griffin.
    — Vous pouvez tout de même me dire votre prénom.
    — Claire, prononça-t-elle avec un sourire réticent.
    — Claire ! s’exclama-t-il en déboutonnant sa chemise avec précaution. J’adore ce prénom. Savez-vous qu’il existe aussi en français ?
    — Oui.
    — Il vous va très bien. Ma grand-mère s’appelait Claire, elle aussi. C’était une femme formidable. Vraiment formidable. Elle était très douce.
    — C’est vrai ?
    — Bien sûr !
    Augustin retira sa chemise de son pantalon et grimaça de douleur. Puis il regarda honteusement son ventre en regrettant de ne pas avoir fait d’exercice depuis longtemps.
    — Alors comme ça, vous êtes archéologue ?
    — Je ne suis pas autorisée à vous parler.
    — Sans doute, puisque vous travaillez ici.
    — Je suis chef de projet, déclara-t-elle en soupirant. Je parle arabe, vous comprenez...
    — Vous parlez arabe ? Comment ça se fait ?
    — Mon père était dans le pétrole. J’ai grandi dans le Golfe. Quand on est gosse, on apprend facilement les langues étrangères. Je pense que c’est pour cette raison que le révérend m’a fait venir ici. Et puis j’ai de l’expérience dans le domaine médical. C’est toujours utile dans un pays comme celui-ci.
    — Un pays comme celui-ci ?
    La jeune femme se mit à rougir.
    — Vous voyez ce que je veux dire... murmura-t-elle en baissant les yeux.
    — Non, je ne vois pas, à moins que vous ne vouliez dire que ce pays est trop primitif pour avoir ses propres médecins.
    — Pas du tout ! Comme je vous l’ai dit, j’ai grandi au Moyen-Orient. J’adore l’Égypte. Seulement, c’est parfois difficile d’aller consulter un médecin, surtout quand on est jeune. Alors à l’étranger, lorsqu’on ne parle même pas la langue...
    Elle sourit d’un air contrit.
    — Vous savez, reprit-elle, les Américains ont du mal à s’adapter lorsqu’ils voyagent.
    — Quel genre d’expérience avez-vous dans le domaine médical ? J’aimerais bien le savoir avant que vous ne m’auscultiez.
    Elle posa les mains sur sa poitrine et lui palpa doucement la cage thoracique en écoutant attentivement et en regardant s’il donnait des signes de souffrance.
    — J’ai fait des études de médecine pendant cinq ans.
    — Cinq ans ? Et vous avez abandonné ?
    — Mon père est tombé malade, expliqua-t-elle sans savoir pourquoi elle se confiait à un parfait inconnu. Il était au chômage à ce moment-là et n’avait pas... la bonne couverture maladie. Ma mère était déjà morte. Il fallait bien que quelqu’un s’occupe de lui.
    — Alors vous l’avez fait.
    Elle acquiesça, le regard perdu dans ses pensées.
    — Vous êtes-vous déjà occupé de quelqu’un qui est en train de mourir ?
    — Je ne me suis jamais occupé de personne, répondit Augustin en secouant la tête.
    — Les bénévoles de l’Église de Peterson nous ont beaucoup aidés. Sans eux, je ne m’en serais jamais sortie. Et puis, il y avait l’hospice. C’est là que mon père est... Peterson a aussi fondé un orphelinat, un foyer pour sans-abri et beaucoup d’autres centres d’accueil. C’est un homme bon.
    — Et c’est pour ça que vous êtes venue ici ? Pour le remercier ?
    — Sans doute...
    — Comment se fait-il que je vous aie vue quitter le site hier ?
    Claire se gratta l’arête du nez en faisant comme si elle n’avait pas entendu, ou pas compris. Mais Augustin laissa la question en