L'énigme de l'exode
amoché !
— Ça se voit tant que ça ? dit Knox. Serait-il possible que j’utilise votre salle de bains ?
— Mais bien sûr ! Entre donc.
Kostas s’engagea d’un pas traînant dans le parcours d’obstacles qu’était devenu son corridor. S’aidant de sa canne, il slalomait entre les piles poussiéreuses de publications universitaires et les caisses remplies d’objets exotiques qui donnaient à ses visiteurs l’impression de pénétrer dans une brocante. Les murs étaient aussi encombrés que le sol : collage de thèmes astraux, posters promouvant les sciences occultes, aquarelles dont il était l’auteur représentant des herbes et des plantes médicinales, frontispices encadrés d’ouvrages ésotériques, et articles de presse jaunis qui lui avaient été consacrés.
Knox se regarda dans le miroir fixé au-dessus du lavabo. Il n’était effectivement pas beau à voir. Il avait du sang séché sur le crâne et sur le front, la mine défaite, et sa chevelure pleine de poussière le vieillissait prématurément. Il fit mousser un peu de savon au creux de sa main et se lava du mieux qu’il put. En haut du miroir, une ligne de lettres grecques le fit sourire : NIΨONANOMHMATAMHMONANOΨIN.
C’était l’un des palindromes les plus anciens. Il signifiait « Lave tes péchés, pas seulement ton visage ». Knox se sécha avec un essuie-mains qu’il barbouilla de traces brunes, puis sortit.
— Alors ? demanda Kostas, impatient. Qu’est-ce qui t’amène ici, dans un état pareil ?
Knox hésita. Il ne savait pas par où commencer.
— Je suppose que tu n’as pas Internet, dit-il.
— Si, je le confesse.
Il conduisit Knox dans sa bibliothèque. Un nombre incalculable de vieux livres aux couvertures élimées baignaient dans le demi-jour qui tombait des fenêtres. Puis il ouvrit son secrétaire, où se trouvait un ordinateur portable ultra-plat.
— De nos jours, on ne peut rien faire sans ces petites machines.
Knox se connecta et ouvrit sa messagerie électronique. Consterné, il constata que le message de Gaëlle avait disparu. Ce foutu bonhomme au casque de moto avait dû le supprimer. Il ferma la fenêtre.
— Bon, je vais essayer de tout vous raconter, dit-il. Mais ne m’en veuillez pas si ça ne semble pas très clair. J’ai reçu un petit coup sur la tête.
— J’avais remarqué, déclara Kostas.
— Apparemment, hier soir, je suis tombé sur un site ancien près de Borg. Des archéologues bibliques sont en train d’y conduire des fouilles, et il pourrait avoir un lien avec les Thérapeutes. J’ai pris des photos. Il y avait une statuette d’Harpocrate, six oreilles momifiées, et une mosaïque représentant un personnage à l’intérieur d’une étoile à sept branches, qui a rappelé à Augustin une gravure de Baphomet réalisée par je ne sais quel Français dont j’ai oublié le nom.
— Éliphas Lévi. Je vois de quelle gravure il s’agit.
— Il y avait aussi une peinture murale de Dionysos. Et une autre de Priape. Voilà, c’est à peu près tout.
— Quel magnifique ensemble ! jubila Kostas, les yeux humides de joie. Tu sais, bien sûr, que les Thérapeutes vivaient près de Borg, n’est-ce pas ?
— Oui.
— Et Harpocrate... Les Romains ont vu en lui le dieu du Silence, car les Égyptiens le représentaient avec un doigt devant la bouche. Mais ce geste n’avait rien à voir avec le silence.
— Je sais. Chez les Égyptiens, il symbolisait la jeunesse. Comme l’accroche-cœur sur le front d’un prince.
— Harpocrate est une déformation de Har-pa-khrat , qui signifie Horus l’Enfant en égyptien. Horus est le dieu à tête de faucon qui a fusionné avec Ra, le dieu du Soleil, pour devenir Ra-Horakthy, l’incarnation du soleil levant.
— Je suis égyptologue, faut-il vous le rappeler ?
— Bien sûr que non, mon garçon, bien sûr que non... Tu as donc sans doute déjà fait le lien entre Harpocrate et Baphomet.
— Quel lien ?
— La loi de Thélème d’Aleister Crowley, bien sûr. Crowley a pris la suite d’Éliphas Lévi, comme tu le sais certainement. Il considérait que Baphomet et Harpocrate ne faisaient qu’un. Pour être tout à fait honnête, nous ne devons ce rapprochement qu’à son extraordinaire ignorance. Mais, maintenant que j’y pense, Harpocrate était effectivement associé à une communauté absolument fascinante de gnostiques alexandrins.
— Quelle communauté ?
— Nous devrions d’abord prendre une tasse de thé,
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