L'énigme de l'exode
son mal en patience. Au moins ici était-il en sécurité. Il prit la théière et remplit les deux tasses d’un thé clair mais très parfumé. Puis il se pencha au-dessus du gâteau au chocolat, moelleux à souhait, et en coupa deux fines tranches.
— Vous parliez d’Harpocrate et des gnostiques, rappela-t-il à Kostas en lui tendant son assiette.
— En effet, dit Kostas.
Il mordit dans sa part de gâteau et absorba avec distinction une petite gorgée de thé.
— Certains gnostiques ont été désignés sous le nom d’Harpocratiens, commença-t-il. On pense qu’ils s’appelaient ainsi, mais nous n’en avons pas la certitude. Les sources anciennes ne les citent qu’une fois ou deux. Par ailleurs, une autre communauté de gnostiques, beaucoup mieux connue, a été fondée par un Alexandrin nommé Carpocrate. Ses membres étaient les Carpocratiens. Il est donc possible, peut-être même probable, que ces deux communautés n’aient fait qu’une.
— Tu penses à une faute d’orthographe ?
— C’est possible, bien sûr, mais les auteurs des sources anciennes connaissaient la différence entre Harpocrate et Carpocrate. Non, j’ai toujours pensé que les Carpocratiens rendaient un culte au Christ mais aussi à Harpocrate et que, le sachant, les Anciens utilisaient indifféremment les deux noms.
— Est-ce plausible ?
— Mais oui ! Les gnostiques n’étaient pas des chrétiens au sens moderne du terme. Il est même absurde de les regrouper dans la même catégorie, puisque chaque secte avait ses propres croyances, dérivées de la tradition égyptienne, juive, grecque ou autre. Cela dit, les grands pionniers du gnosticisme, comme Valentin, Basilide et Carpocrate, avaient des points communs. Par exemple, ils ne reconnaissaient pas Jésus comme le fils de Dieu. Du reste, pour eux, le dieu des Juifs n’était qu’un démiurge, une création inférieure et mauvaise qui se prenait pour l’être suprême. Sinon, comment aurait-on pu expliquer toutes les horreurs du monde ?
— Alors qui était l’être suprême ?
— Ça, c’est une question ! s’exclama Kostas, dont le larmoiement s’était considérablement accru.
Comme beaucoup de personnes solitaires, il était extrêmement stimulé lorsqu’il avait de la compagnie.
— Les gnostiques considéraient qu’on ne pouvait ni le décrire, ni le concevoir, si ce n’était peut-être en termes mathématiques, et à condition d’être un esprit exceptionnellement éclairé. Un dieu très einsteinien, en quelque sorte. Le Christ n’était donc pour eux qu’un homme brillant mais ordinaire, à l’instar de Platon ou d’Aristote, qui avait suffisamment nourri la flamme divine de son être pour entrevoir cette vérité. Mais je m’éloigne de ce qui nous intéresse, c’est-à-dire les similitudes existant entre le Christ et Harpocrate.
— Quelles similitudes ?
— Oh, cher Daniel ! Par où commencer ? Par le temple de Louxor, peut-être. Par ce relief de la naissance dans lequel un pharaon qui vient de naître est représenté sous les traits d’Harpocrate. Cela n’a rien de surprenant, bien sûr. Le pharaon était l’incarnation d’Horus. À sa naissance, il pouvait donc être appelé Horus l’Enfant ou Harpocrate. Mais on remarque dans cette scène des détails troublants : une mortelle fécondée par un esprit saint, alors qu’elle est encore vierge ; une annonciation par Thot, l’équivalent égyptien de l’archange Gabriel ; une étoile qui conduit trois rois mages venus d’Orient, et chargés de cadeaux.
— Vous plaisantez !
— Je savais que ça te plairait ! En fait, les mages ont de tout temps fait irruption dans les histoires de naissance divine, en particulier chez les peuples rendant un culte au soleil. C’est une allégorie astronomique, bien sûr, comme tant de récits religieux. Les trois étoiles de la ceinture d’Orion pointent vers Sirius, qui constituait la base du calendrier solaire égyptien et servait de point de repère pour prédire la date de la crue annuelle. Autres symboles que l’on retrouve très souvent : l’or, l’encens et la myrrhe, qui ont constitué les tout premiers biens de l’homme. C’est ce que Dieu a donné à Adam et Ève pour les consoler après les avoir chassés du jardin d’Éden. Soixante-dix perches d’or, si mes souvenirs sont bons.
— Perches ? La perche est une unité de longueur, non de masse.
— C’est ce que dit Le Livre d’Adam, et Ève . Ou alors Le livre
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