L'énigme de l'exode

décréta Kostas en se passant la langue sur les lèvres. Oui, du thé et du gâteau.

    III
    Khaled se hissa en haut de l’échelle de corde et décida d’aller regarder la chambre funéraire une dernière fois. Il allait devoir traverser la fosse sur un pont de fortune, composé de deux planches qui ne dépassaient le bord du trou que de quelques centimètres et ployaient dangereusement lorsqu’un homme passait dessus.
    Lorsque ses hommes et lui avaient apporté ces planches, la fosse était encore remplie de décombres. Mais désormais, même avec une lampe torche, on n’en voyait plus le fond. La moindre chute serait fatale. Parfois, la nuit, Khaled se rêvait en train de tomber dans ces ténèbres dévorantes. Mais il n’avait pas voulu être le premier à réclamer des planches plus longues. Et ses hommes non plus.
    Malgré tout, il traversa la fosse sans encombre, puis entra dans la chambre funéraire. Des tas de décombres cachaient les murs. Parfaitement taillés et plâtrés, ceux-ci n’avaient pas été décorés, sans doute parce que la tombe n’avait pas...
    Khaled se figea brusquement. Il avait entendu une voix. Une voix d’homme venant d’en haut. Il tendit l’oreille. Plus rien. Il se détendit et son cœur reprit un rythme normal. Ces vieux tombeaux finissaient par agir sur votre imagination. On en viendrait à...
    La voix retentit de nouveau. Plus aucun doute, cette fois. Khaled la reconnaissait. C’était celle de l’homme de l’équipe de tournage. Il était revenu ! Troublé par la proximité de la voix, Khaled jeta un regard horrifié vers le plafond. L’homme ne devait pas être bien loin. Il y avait une fissure en haut de la falaise, et la première fois qu’il était venu ici, après la tempête, Khaled avait eu de l’eau jusqu’aux chevilles. Il devait donc y avoir une faille dans la roche. Il retraversa les planches et remonta la galerie jusqu’à l’entrée. Faisal et Nasser avaient, eux aussi, entendu des voix. Accroupis derrière le rideau de toile auquel le soleil couchant donnait des reflets roux, ils avaient éteint leur lampe.
    — C’est l’équipe de tournage, murmura Faisal.
    — Ils vont filmer et repartir, le rassura Khaled.
    — Et s’ils voient notre camion ?
    De l’autre côté du rideau, une chaussure dérapa sur l’argile. Khaled se pétrifia. Faisal étouffa un rire nerveux, porta ses deux mains à sa bouche, et se mit à cligner des yeux comme un dément. Khaled ouvrit lentement son étui de revolver, sortit son Walther et visa l’entrée de la tombe. Brusquement, il eut une vision de son enfance, de sa mère, si fière de lui, de toutes les photos de lui en uniforme qu’elle avait accrochée à ses murs. Encore un bruit sur la corniche. Un cri de surprise étouffé. Le rideau bougea et la silhouette de Gaëlle se découpa sur le soleil couchant.
    Toute une vie pouvait basculer en un clin d’œil. C’est ce que Khaled se dit lorsqu’il croisa le regard de Gaëlle. Il se sentait étrangement calme, comme à ce poste de contrôle du Sinaï, à l’époque où il servait dans l’armée, lorsqu’il avait pressenti ce qui allait se passer. Il avait arrêté un camion chargé de bois d’œuvre et de matériel de charpenterie. Alors qu’il s’apprêtait à négocier un bakchich, il avait aperçu le canon d’une arme à feu sous la bâche. À cet instant, il avait eu une conscience aiguë de la réaction de son corps, soudain envahi par une montée d’adrénaline. Mais curieusement, il avait eu l’impression de voir la scène se dérouler à la télévision plutôt que de la vivre. Il s’était délecté de l’acuité soudaine de ses sens, de la fluidité du flot d’informations qui lui parvenaient à l’esprit, de sa vivacité soudain accrue. Il avait entendu son souffle s’arrêter, croisé le regard du chauffeur dans le rétroviseur, senti le camion s’affaisser légèrement tandis qu’un homme sortait son arme. Il avait eu tout le temps de prendre le contrôle de la situation, comme si ses adversaires avaient été englués dans du miel, tandis qu’il était, lui, libre de ses mouvements.
    Mais cette fois, ce fut Gaëlle qui réagit la première. Elle tourna les talons et s’enfuit en alertant ses deux compagnons.

Chapitre 27

    I
    Knox emporta le plateau dans la bibliothèque et le posa sur la table basse. Il n’était pas vraiment d’humeur à prendre le thé, mais Kostas s’étant mis cette idée en tête, il devait prendre