L'énigme des blancs manteaux
nous a dit. Rappelez-vous les conclusions de Sanson sur la mort de Descart, empoisonné puis étouffé. Il y a là un rapprochement que les faits confirmeront ou pas. Si c'était le cas, Semacgus serait en fort mauvaise posture. Il pouvait tuer ici tout autant qu'à Vaugirard. Rien ne permet de l'innocenter dans les deux cas et les mobiles existent tant pour Descart que pour Lardin. Encore que, pour Descart, la rivalité et la controverse entre médecins sur l'usage de la saignée paraissent peser bien léger dans la balance...
— Vous oubliez que Descart l'accusait d'avoir tué Saint-Louis.
— Non, mais dans la version que j'examinais, Saint-Louis n'était pas mort, mais complice de son maître.
— Et Mauval, dans tout cela ?
— Son action se fait sentir partout. Il est à l'affût dans une chasse que je ne suis pas autorisé à évoquer, mais qui n'est pas de petite importance dans cette affaire.
— Oh ! je sais bien, dit Bourdeau avec ironie, que vous êtes dans les confidences des puissants et que notre enquête ne tend pas seulement à élucider la mort de Lardin. Notre police a ses brebis galeuses, je comprends que M. de Sartine ne souhaite pas voir les choses s'ébruiter. C'est pourquoi vous êtes brutalement sorti du cadre des règles habituelles.
Nicolas ne répondit pas. Il préférait que l'inspecteur se satisfît d'une hypothèse qui n'était pas très éloignée de la vérité, mais qui laissait dans l'ombre l'affaire d'État qu'il avait l'ordre formel de ne pas ébruiter. Bourdeau, de son côté, même s'il ressentait un peu d'aigreur de la discrétion de son chef, avait suffisamment d'expérience et de discipline pour ne pas lui en tenir rigueur. Nicolas regrettait de ne pouvoir l'associer à cette partie essentielle de l'enquête dans laquelle les talents de l'inspecteur eussent été fort utiles, mais il comprenait le souci du lieutenant général de ne pas divulguer inutilement des faits où apparaissait le nom du roi. Le jeune homme n'aimait pas le perpétuel contrôle de lui-même que lui imposait cette discrétion nécessaire, dont il comprenait qu'elle constituerait désormais un élément de sa vie. Ce constant effort l'éprouvait. Il en subissait les effets avec mélancolie, mais y puisait aussi des forces nouvelles.Il y avait lu depuis longtemps la ligne directrice de son destin ; d'ailleurs le secret était un des éléments de sa personnalité profonde. Il avait à la fois besoin des autres et le souci de ne pas les laisser empiéter sur sa vie. Comme certaines bêtes craintives, son premier mouvement était de reculer quand on tentait de se rapprocher de lui trop brutalement. Il n'avait pas choisi son métier, mais, si ses qualités s'y développaient c'était sans doute qu'il correspondait à ses talents profonds.
Le cadavre fut placé dans une bière et transporté à la Basse-Geôle afin d'y être examiné. Un messager fut dépêché à Sanson.
Nicolas, qui souhaitait convaincre Bourdeau que la leçon reçue à l'occasion du suicide de Bricard n'avait pas été perdue, décida qu'ils iraient tous les deux interroger Semacgus à la Bastille. Après avoir donné l'instruction à un exempt de maintenir Louise Lardin au secret, ils reprirent leur voiture pour se rendre à la forteresse royale. En chemin, Nicolas réfléchissait aux meilleurs moyens à employer pour interroger Semacgus. Deux écueils étaient à éviter : s'en laisser conter par un homme qui avait sur lui le privilège de l'âge et de l'expérience, et les sentiments d'amitié qu'il pouvait porter à un prévenu soupçonné désormais de deux meurtres.
Considérant distraitement l'animation de la rue où apparaissaient déjà, sur les façades des maisons, les décorations destinées à embellir la Cité lors de la procession du Bœuf gras, Nicolas, Parisien de fraîche date, savait pourtant que ce défilé de l'animal paré de fleurs, de rubans et de mille ornements, donnait souvent fil à retordre à la police, par les excès et les licences qu'il permettait à la populace. La processionpartait de l'apport-Paris 67 proche de la Grande Boucherie, en face du Châtelet, et allait saluer le Parlement en l'île de la Cité. Elle revenait ensuite à son point de départ, où l'animal était abattu et débité. Mais il arrivait aussi que les garçons bouchers, organisateurs de la fête, soucieux de la faire durer, n'attendent pas le jeudi gras pour défiler et commencent leurs réjouissances dès le mardi ou le
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