L'énigme des blancs manteaux
quand l'habitude en est perdue. Comme chaque matin, il respira profondément pour chasser l'angoisse des ténèbres et se jugea prêt à affronter une nouvelle journée.
Nicolas se sentait sale et courbatu. Il avait besoin d'un bon bain. La chose lui parut difficile à obtenir. Après y avoir réfléchi, il décida d'user des moyens du bord. Catherine utilisait un grand baquet de bois cerclé pour tremper le linge, il ferait l'affaire. Il allumerait le potager de la cuisine et ferait chauffer de l'eau. Ragaillardi par cette perspective, il s'approcha de la croisée. Au premier plan, le jardin était une nappe blanche, sur laquelle se lisaient les traces recoupées d'oiseaux ou de chats. Le jour était magnifique et froid. Plus loin, sur les toits des maisons avoisinantes, la neige étincelait avec des reflets bleus.
Il compléta son bagage en réunissant les pauvres objets, auxquels il tenait : une minuscule gravure naïve, représentant sainte Anne, ses livres de droit avec les quatre volumes du Grand Dictionnaire de police de Delamare, un vieil exemplaire des Curiosités de Paris par Saugrain l'aîné dans une édition de 1716, une coutume de Paris, un vieux missel ayant appartenu au chanoine Le Floch, l'Almanach royal de 1760, deux volumes des pensées du père Bourdaloue, de la Compagnie de Jésus, sur divers sujets de religion et de morale, le Diable boiteux de son compatriote LeSage, né à Sarzeau, lu et relu, comme le Don Quichotte, tout au long de son enfance, un éventail cassé offert par Isabelle, et, enfin, une dague de chasse donnée par le marquis, son parrain, le jour où il avait servi sa première bête noire 41 . Il se souvenait encore, avec amertume, de la réprobation de ceux qui avaient été scandalisés qu'on réservât cet honneur à un enfant trouvé, sans nom et sans naissance. Il avait acheté, à vil prix, chez un revendeur une antique malle de cuir cloutée qui, outre son portemanteau, constituerait tout son déménagement.
Où irait-il ? Il lui faudrait trouver un logis pas trop onéreux. En attendant, il avait bien pensé demander asile à Bourdeau mais, outre que celui-ci occupait avec sa femme et leurs trois enfants un logis exigu, il paraissait à Nicolas peu digne de faire appel à son adjoint, au risque de se placer dans une situation fausse qui troublerait une entente à laquelle il tenait par-dessus tout. Le père Grégoire serait sans doute heureux de l'accueillir à nouveau rue de Vaugirard, mais le supérieur du couvent pouvait refuser, et le mode de vie de Nicolas, lié aux emplois du temps incohérents de son état, ne paraissait pas compatible avec le fonctionnement régulier d'un couvent. Certes, il pouvait s'en ouvrir à M. de Sartine, mais son chef se tenait de préférence au-dessus de ce type de contingence et Nicolas préférait ne pas se risquer à affronter certain regard ironique qu'il connaissait bien. Il devait se débrouiller tout seul.
Il repensa soudain à une proposition déjà ancienne de son maître, M. de Noblecourt. L'ancien procureur au Parlement, veuf sans enfant, s'était vite rendu compte de la froideur de Lardin à l'égard de son élève, et il avait plusieurs fois proposé à celui-ci de venir partager sa solitude épicurienne en occupantune chambre agréable qui ne servait à personne. Nicolas avait alors décliné cette offre, car, même si le lieutenant général de police ne lui en avait jamais formellement touché mot, il se considérait comme en mission dans la maison des Blancs-Manteaux. Les interrogations régulières de M. de Sartine l'avaient confirmé dans cette manière de voir. Désormais, plus il y pensait, plus l'idée de faire appel à M. de Noblecourt lui semblait providentielle. Il éprouvait d'ailleurs une sincère affection pour le vieux magistrat bienveillant et spirituel. Rasséréné, il décida de faire toilette.
La demeure était silencieuse et rien n'indiquait que Louise Lardin fût rentrée. Nicolas avait rallumé une chandelle avant de s'aventurer dans l'obscurité de l'escalier. Avec ces réflexes de limier qui commençaient à devenir chez lui une seconde nature, il examina avec soin les degrés puis le carrelage du corridor. Nulle trace de neige ou de boue n'était visible. À l'évidence, personne n'était entré dans la maison depuis la veille au soir.
Il gagna l'office afin de se consacrer à la préparation de ses ablutions. Il convenait tout d'abord de rallumer le potager. Il connaissait l'endroit où
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