L'énigme des vampires
donné le mot « Christ », l’Oint, le
Messie) est une huile sacrée fréquemment utilisée dans la liturgie catholique
et orthodoxe, notamment pour l’administration de sacrements comme le baptême, la
confirmation et l’extrême-onction. Mais ce qu’on sait moins, c’est la nature de
ce Chrême. Certes, c’est de l’huile parfumée et consacrée. Mais de nombreuses
traditions autant ecclésiastiques que populaires du Moyen Âge lui ont donné une
origine quelque peu merveilleuse. Pour s’en convaincre, il suffit de relire un
passage d’un bizarre ouvrage de Brantôme, le Discours
sur les colonels de l’infanterie de France . On s’attendrait à y trouver
tout autre chose. Pourtant, parlant d’une partie de ses ancêtres qui portent le
nom de Bourdeille, ce colporteur de ragots pleins de sous-entendus égrillards
en est amené à énoncer une légende qui court sur sa famille : « Pourquoi
les gens d’aujourd’hui ne sont aussi gens de bien que le temps passé ? Parce
qu’ils ne sont pas baptisés d’un aussi bon et saint Chrême du temps que les
Bourdeille l’allaient quérir par-delà Jérusalem et l’allaient prendre dans l’oreille
d’un Dragon qu’il fallait qu’ils tuassent de leur main, et puis en tiraient de
ladite oreille de la substance dont on faisait le Chrême, et le sanctifiaient
dans Jérusalem par les Saints Prélats qui y étaient, puis le rapportaient en
leur pays et en fournissaient les Églises. Voilà la plaisante opinion et fable
qu’avaient et racontent encore ces bonnes et simples gens et femmelettes de
notre pays. » Voilà qui n’est pas sans intérêt.
Car il n’y a pas que Brantôme à raconter une telle histoire.
Différents témoignages laissent entendre qu’au Moyen Âge, beaucoup de fidèles
croyaient que le Pape allait chaque année à Babylone ( sic ) pour y chercher les saintes huiles qui sont
faites « avec des œufs de certains reptiles ». On peut voir dans ces
reptiles des serpents ailés, des vouivres, des dragons ; mais cela
rappelle singulièrement une tradition gauloise rapportée par Pline l’Ancien et
qui a trait à un mystérieux œuf de serpent :
« Il existe une sorte d’œufs de grand renom dans les Gaules et dont les
Grecs n’ont pas parlé. Des serpents s’entrelacent en grand nombre ; avec
leur bave et l’écume de leur corps, ils façonnent une sorte de boule appelée urinum (ou ovinum , le
texte étant incertain). Les druides disent que cette sorte d’œuf est projetée
en l’air par le sifflement des serpents, et qu’il faut la rattraper dans un
manteau sans lui laisser toucher la terre. » Les commentaires sont
nombreux et contradictoires sur ce texte. Ce qui est certain, c’est l’importance
accordée par les Druides à cet « œuf de serpent ». Qu’en
faisaient-ils ? On l’ignore absolument. Mais on peut facilement supposer
que cet « œuf de serpent » avait un rapport – même lointain – avec la
notion de Saint Chrême, avec la pierre précieuse que porte en sa tête la
Vouivre, et aussi avec le Sang du Dragon que boit Sigurd et dans lequel de
nombreux héros se plongent entièrement. L’idée fondamentale est que le serpent,
ou le Dragon, est un animal – ou simplement un être – sacré, donc
nécessairement ambigu.
Un curieux traité, paru en 1839, dû à un certain Jourdain Catalini
de Séverac, qui collationne des récits du XIV e siècle
à propos des merveilles du monde, et particulièrement de l’Inde, fournit cet
étonnant témoignage : « Il y a là des dragons en très grande quantité,
qui portent sur la tête une pierre brillante qu’on appelle escarboucle. Ces
animaux vivent sur des sables d’or et ils deviennent extrêmement gros ; ils
jettent par la bouche une haleine très puante et infecte, qui ressemble à la
fumée très épaisse d’un feu. Ces animaux se réunissent au bout d’un temps
déterminé, il leur pousse des ailes, et ils commencent à s’élever en l’air ;
alors, par la justice de Dieu, puisqu’ils sont lourds, ils tombent dans un
fleuve qui sort du Paradis, et ils y meurent. Tous les gens du pays attendent l’époque
des dragons, et quand ils voient qu’il en est tombé un, ils attendent soixante-dix
jours, et puis ils descendent et trouvent les os des dragons dénudés de leur
chair ; ils prennent l’escarboucle qui est fixée sur l’os de la tête, et
ils la portent à l’empereur d’Éthiopie que vous appelez Prêtre Jean [123]
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