L'énigme des vampires
Serpent, ou le Dragon. Il y a donc conjonction entre
l’Arbre balsamique et le Dragon, et la sève de l’Arbre est le Sang du Dragon. Cette
identification ressort de la plupart des légendes médiévales au sujet du Dragon.
Ainsi, on peut lire dans le Bestiaire de
Guillaume Le Clerc : « L’aspic est un dragon qui garde l’arbre où se
trouve le baume et il est si mauvais et si cruel que nul homme n’ose s’approcher
de l’arbre pour prendre du baume, sauf quand il dort. » Ce qui justifie
amplement toutes les quêtes entreprises par des humains pour découvrir le Dragon,
gardien de l’immortalité. Et le Saint Chrême, provenant de l’Arbre ou du Dragon,
restitue cette immortalité, par l’onction du baptême chrétien, mais sur un plan
céleste, dans « le Royaume de Dieu », cette « Jérusalem céleste »
que le Nouveau Testament présente sans cesse comme la réalisation de la Promesse
divine.
Ces spéculations cléricales, de toute façon religieuses, s’appuient
sur un mythe véhiculé depuis les origines et que la tradition populaire adapte
selon l’époque, selon le pays et selon les habitudes socioculturelles. Il n’est
donc pas étonnant de les reconnaître à travers des contes oraux transmis de
génération en génération, et dont le schéma initiatique reste invariable. Ainsi
en est-il d’un très étrange conte occitan de la région d’Agen, la Grande Bête à tête d’homme . Il résume admirablement,
en une histoire simple et directe, toute la problématique de la quête du Dragon [125] .
Un jeune homme pauvre est amoureux de la fille d’un seigneur.
Mais il se rend bien compte qu’il ne pourra l’épouser que s’il devient riche. Or,
ayant entendu parler d’un merveilleux prodige, il décide de se lancer dans l’aventure.
Mais il prend ses précautions, et il va trouver l’archevêque d’Auch, un curieux
prêtre en vérité, et qui ressemble fort à un chaman initiateur. Voici ce que
lui dit le jeune homme : « Archevêque d’Auch, vous êtes un homme
avisé et plein de sagesse. On dit qu’il y a sur la montagne une grotte pleine d’or,
avec une grande bête à tête d’homme qui la garde. Cette bête a promis la moitié
de son or à qui pourra répondre à trois questions. Plus de cent personnes se
sont présentées, mais elles sont demeurées muettes et la grande bête les a
mangées toutes vivantes. » Voici donc une « grande bête » qui
ressemble fort à un Dragon dans sa caverne, et qui garde les Trésors de l’Autre
Monde, donc les secrets de l’immortalité. L’archevêque d’Auch confirme les
dires du jeune homme et lui enseigne une méthode infaillible pour vaincre le
monstre et s’emparer non pas de la moitié, mais de la totalité du trésor. Il
commence par lui révéler comment il faut répondre à la grande bête, puis l’engage
à poser lui-même trois questions insolubles à celle-ci. « Si la bête à
tête d’homme demeure muette, tu prendras ce couteau d’or que tu vas cacher sous
tes vêtements, que tu sortiras seulement au dernier moment, et tu la saigneras.
Après quoi, tu lui trancheras la tête et tu t’en reviendras avec tout son or. »
Avec sagesse et habileté, le jeune homme exécute le programme
prévu. « Il prit la grande bête par les cheveux et la saigna. » Mais,
pendant que son sang coule, la bête lui révèle encore autre chose :
« Écoute, je vais mourir. Bois mon sang. Suce mes yeux et ma cervelle. Ainsi
tu deviendras fort et vaillant comme Samson et tu ne craindras personne sur
terre. Arrache-moi le cœur. Porte-le à ta maîtresse et fais-lui manger tout cru
le soir de vos noces. De cette façon, tu auras sept enfants, trois fils et
quatre filles. Les trois garçons seront forts et vaillants comme toi. Les
quatre filles seront belles comme le jour. Elles comprendront ce que chantent
les oiseaux. Et quand elles auront l’âge, elles épouseront des rois. »
Tous ces détails rappellent de très près l’aventure de Sigurd et du dragon
Fafnir, selon le récit scandinave. Mais, ce que n’avait pas prévu ou pas voulu
dire l’archevêque d’Auch, c’est qu’il fallait boire
le Sang du Dragon pour atteindre une plénitude. Il est bien évident que
le rituel sacrificiel accompli par le jeune homme est un acte vampirique de la
meilleure tradition. C’est dans le Sang du Dragon qu’il puisera cette énergie
nouvelle qui lui permettra de se réaliser, socialement selon les données
apparentes du
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