L'énigme des vampires

autre
que le désir des hommes de satisfaire leur sexualité en dehors de toute
procréation. Le Talmud (Sheb. 151 b.) est
encore plus précis : « Malheur à l’homme sur qui se portera le désir
de Lilith ! elle s’emparera de lui. » Et l’on rappelle, à cette occasion,
qu’il est interdit à un homme de coucher seul dans une maison. Car, inévitablement,
il recevra la visite de Lilith. On pourrait en dire autant à propos des
vampires, lesquels fréquentent généralement les maisons isolées.
    Cette célébrité – pourtant marginale – de Lilith, et la
crainte qu’elle inspire, sont dues à une très ancienne légende de la tradition
hébraïque qui ne nous est parvenue que par fragments. Deux versions de cette
légende s’opposent d’ailleurs sur le point de départ, mais concordent sur le
développement du mythe.
    D’après une première version, lorsque Yahvé crée Adam, il
crée en même temps une femme, Lilith, comme lui tirée du limon de la terre. Une
seconde version fait de Lilith le premier être humain, et la mère d’Adam par
une sorte de parthénogenèse – ou l’intervention d’une entité spirituelle –, ce
qui constitue un des archétypes de « l’Annonce faite à Marie ». Mais,
de toute façon, au Paradis Terrestre, Lilith partage complètement la vie d’Adam,
y compris la vie sexuelle, le tabou sur l’inceste, de création sociale, n’existant
point encore. Mais l’Éden n’est peut-être pas le paradis qu’on s’imagine, car
Lilith n’est guère satisfaite d’Adam et la brouille éclate dans le ménage, notamment
à propos d’une grave question de préséance : dans leurs rapports amoureux,
chacun prétend devoir être au-dessus de l’autre. Il est évident que la position
dite « du missionnaire » n’avait pas été encore érigée en loi
incontournable. Adam étant intransigeant sur sa prépondérance de mâle, Lilith n’a
plus qu’une chose à faire : elle s’enfuit et invoque le nom ineffable de
Dieu qu’elle connaît , on ne sait trop comment.
Mais cette connaissance, sorte de mainmise magique, car qui connaît le nom d’une
personne possède cette personne, selon les croyances anciennes, oblige Yahvé à
lui donner satisfaction. Aussitôt, Lilith se voit munie d’ailes et s’envole
dans les airs, à la façon d’un dragon volant, ou d’un vampire, ce qui n’est pas
du tout du goût d’Adam. L’époux abandonné se plaint auprès du Créateur et le
somme de lui ramener son épouse. Yahvé, se rendant à ses justes raisons, envoie
trois anges à la poursuite de Lilith. Ils la rattrapent au bord de la mer Rouge ;
mais Lilith refuse obstinément de reprendre sa place auprès d’Adam. Les trois
anges, sur l’ordre de Yahvé, lui annoncent qu’elle perdra chaque jour cent de
ses propres enfants si elle ne revient pas. On se demande de qui elle pourrait
d’ailleurs avoir tant d’enfants. Mais, quoi qu’il en soit, Lilith accepte le
marché. Alors, curieusement, et même traîtreusement, les trois anges tentent de
la noyer dans la mer Rouge. Elle plaide éloquemment sa cause et l’on parvient à
un compromis : elle obtient la vie sauve à condition qu’elle ne fasse
jamais de mal à un enfant nouveau-né qui se trouve dans un endroit où elle
verra son nom écrit. Là-dessus, sans doute pour s’en débarrasser, Yahvé la
donne à Sammaël, l’Archange révolté, autrement dit Lucifer-Satan.
    Des variantes de cette légende ne font pas donner Lilith à
Sammaël par le Créateur. C’est au cours d’une de ses errances qu’elle rencontre
l’Archange Noir, et celui-ci tombe amoureux d’elle. Mais Lilith, qui sait à
quoi s’en tenir à propos des rapports avec les hommes, pose ses conditions :
il y aura égalité des sexes entre eux, et dans l’acte sexuel, ils seront alternativement
dessus et dessous. Cette grave question résolue, Sammaël l’emmène dans son
domaine, dans la vallée de Jehannum, c’est-à-dire la Géhenne. Ainsi se trouve
réalisé le couple monstrueux par opposition avec le couple harmonieux et licite
qu’auraient dû former Lilith et Adam. Et Yahvé par compensation, crée une femme
de la côte d’Adam, Ève, et la lui donne comme épouse. Ainsi la légende
transmise par une tradition incontrôlable rejoint-elle le récit de la Genèse .
    Si l’on admet qu’il y a eu – réellement ou mythiquement, peu
importe – deux créations successives, d’abord Lilith et Adam, ensuite Ève, le
rôle de