L'énigme des vampires
poitevine – est bâtie sur un point de repère d’une
simplicité déconcertante : Lilith est à la fois céleste
et infernale parce que le Ciel n’est qu’un gouffre inversé et que l’Enfer
n’est qu’un dôme céleste inversé. Ce qui est en haut est comme ce qui est en
bas, comme l’affirme la fameuse Table d’Émeraude ,
attribuée à Hermès Trismegiste (Hermès le trois fois très grand). Et le mot
latin altus signifie aussi bien le bas que le
haut, quoiqu’il soit restreint, dans sa formulation française « haut »,
à ne désigner que ce qui est au-dessus. Pourquoi s’étonner alors de la démarche
poétique d’un Baudelaire ou d’un Rimbaud qui prétendaient découvrir le Ciel
après avoir traversé l’Enfer ? Lilith est née du limon de la Terre. Mais
en prononçant le nom ineffable de Dieu, elle a senti des ailes sur son corps et
s’est mise à voler dans les airs. Surgie des cavernes profondes, comme la
sinistre Échidna grecque, et parfois sous forme de Dragon ou de Serpent, elle a
pris son essor, réalisant l’union fantastique entre le Ciel et la Terre. Bien
entendu, la Terre étant liée au bas , on peut en conclure qu’elle est passée
de l’Enfer au Ciel. Mais ce n’est pas si simple, car qui nous dit qu’elle ne
puisse pas accomplir un va-et-vient perpétuel entre les deux polarités extrêmes ?
Le problème est que Lilith fait
peur . C’est un être à part, un être qui n’est pas tout à fait vivant et
pas tout à fait mort, le type même du vampire non-mort. Privée de l’immortalité
primitive d’avant la chute, elle est également privée de la nourriture habituelle
des humains. Et c’est en cela qu’elle se révèle vampire. Car elle doit absorber
une énergie vitale qui lui est refusée d’en haut à cause de la malédiction dont
elle est l’objet, et qu’elle est incapable, par sa nature encore céleste, de
recevoir selon la physiologie humaine terrestre. En un mot, comme Dracula qui regarde
Jonathan Harker manger, mais se garde bien lui-même de toucher à la moindre
nourriture, Lilith n’a pas la possibilité de digérer les aliments habituels du
genre humain. Il lui faut donc prendre son énergie vitale ailleurs. Or, étant
privée du contact direct avec Dieu, c’est-à-dire avec les énergies supérieures,
elle doit se rabattre sur les énergies d’en bas ,
autrement dit sur le sang humain. Elle est réellement vampire, et si elle n’est
ni bonne, ni mauvaise, elle ne peut que recourir à la solution qui consiste à
sucer le sang des humains. De là vient la croyance que Lilith s’abreuve du sang
des nouveau-nés, les mange à l’occasion, ou bien engloutit le sperme des hommes
qui ne prennent pas garde à son approche nocturne.
Ce qui fait peur, c’est évidemment l’angoisse d’être dévoré,
soit par l’engloutissement dans la gueule du monstre, soit par la succion
inexorable du sang, provoquant un affaiblissement progressif et conduisant à la
mort. Ce fait se réfère au concept sous-tendu par le mythe du Sphinx. On s’est
trop attaché à expliquer à la lettre l’énigme posée par le Sphinx à Œdipe :
quel est l’animal qui marche sur quatre pattes le matin, sur deux pattes à midi,
sur trois pattes le soir ? On en a déduit que l’homme commençait sa vie en
marchant sur ses jambes et ses mains, qu’il avait la plénitude de ses moyens en
étant sur ses deux jambes, mais qu’il devait s’aider d’un bâton dans sa
vieillesse, pour surmonter sa faiblesse. On peut pourtant l’interpréter autrement :
certes, l’enfant commence ses premiers pas comme un animal, mais il devient
vite capable de se mouvoir sur ses deux jambes. Et c’est alors que la troisième
« patte » entre en jeu, non pas le bâton, mais le phallus dont l’activité
consacre son véritable état adulte. Œdipe, devant le Sphinx, passe d’un état
prépubertaire (il marche bien sur ses deux jambes) à un état où la puberté se
manifeste par le désir qu’il a de la féminité représentée par le Sphinx, lequel
est en réalité, et c’est primordial, une sphinge .
À ce moment-là, l’aspect monstrueux et terrifiant du Sphinx, le monstre qui
engloutit, disparaît pour laisser place à l’image érotisée de Jocaste, puisque
le Sphinx n’est autre que l’aspect castrateur de Jocaste. Œdipe a transgressé
un interdit, le tabou sur la sexualité qui l’empêchait d’être vraiment un homme.
Le reste est du domaine de la sociologie et de
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