L'énigme des vampires
la
terre. Les Géants seraient-ils, sinon les fils, du moins les descendants de
Lilith ? On se trouve ici devant des récits tronqués. C’est comme si la
tradition venue du fond des âges avait été vidée d’une partie de son contenu. Il
n’en reste que des bribes insignifiantes, trop insignifiantes pour pouvoir
reconstituer l’ensemble d’une Théogonie primitive.
De plus, Lilith n’est pas forcément une « diablesse »,
ou si elle l’est, elle n’est pas obligatoirement maléfique. Elle est noire et
blanche, comme le Dragon ailé réfugié dans sa caverne. Une tradition juive
rapporte qu’après le meurtre d’Abel par son frère Caïn, Adam cessa de connaître sa femme. Cela jetterait quelques doutes
sur la légitimité de Seth. Mais on n’en est pas à une anomalie près dans ces
textes tronqués et plus ou moins extrapolés au cours des siècles. À la suite de
cette indifférence d’Adam, Ève se lamentait et disait : « Pourquoi
devrais-je mettre des enfants au monde si c’est pour les exposer à la mort ? »
Comme quoi, elle justifiait malgré elle le peu d’intérêt que lui manifestait
Adam et s’en consolait par un raisonnement somme toute judicieux. Mais, séparé
virtuellement d’Ève, Adam, d’après cette tradition, était fréquemment visité
dans son sommeil par des esprits féminins qui, de ces unions furtives, engendraient
des esprits et des démons dotés chacun de pouvoirs particuliers. On peut voir
là l’origine de la croyance aux divers Incubes et Succubes. Ainsi, Lilith se
manifestait encore dans les nuits de son ancien époux. Peut-être faut-il voir
là des remords, ou une certaine nostalgie, de la part d’Adam, une sorte de
désir refoulé dans l’inconscient. Peut-être faut-il supposer une action vengeresse
de la part de Lilith et de ses descendants. Mais, ainsi, Adam et Lilith avaient
des enfants qui contrebalançaient les enfants d’Adam et Ève. Ainsi s’expliquerait
sans doute la Théogonie d’Hésiode et tous les
récits mythologiques concernant les guerres et les conflits du temps des
origines, lutte des Titans et des Géants, lutte des Ases contre les Vanes, lutte
des Fomoré contre les Tuatha Dé Danann, luttes de familles divines contre d’autres
familles trop facilement et hâtivement classées comme diaboliques.
Une légende hébraïque [128] rapporte l’histoire d’un
homme de grande piété qui, sentant venir sa fin, fit appeler son fils et lui
dit de consacrer sa vie à l’étude de la Torah .
Mais il lui demanda aussi d’aller, le septième jour de son deuil, au marché, afin
d’y acheter le premier article qu’il verrait. Le septième jour du deuil, le
fils se rendit donc au marché et acheta un plat d’argent d’un prix exorbitant. Ce
plat en contenait un deuxième, à l’intérieur duquel il y en avait un troisième.
Et dans celui-ci se trouvait une grenouille. Or, c’était une grenouille
merveilleuse qui parlait. Elle enseigna au jeune homme la Torah ainsi que les soixante-dix langues humaines et
le langage des bêtes sauvages et des oiseaux. Enfin, la grenouille procura au
jeune homme et à son épouse toutes sortes de biens et de remèdes contre les maladies,
et elle disparut après avoir déclaré : « Je suis un des fils qu’engendra
Adam pendant les cent trente années que dura sa séparation d’avec Ève. Dieu m’a
accordé le pouvoir de prendre toute forme que je souhaiterais. »
Cette belle légende mériterait de nombreux commentaires. Il
faut se borner à quelques remarques essentielles. La grenouille dont il est
question n’apparaît pas au premier abord : elle est cachée sous trois
enveloppes d’argent, et ce n’est qu’au prix d’une certaine patience, donc au
prix de trois étapes initiatiques, qu’on la découvre enfin. La grenouille, c’est
un peu l’âme isolée et séparée du Corps sans Âme dont il sera question plus loin. Et puis, la grenouille, qui n’est pas une
grenouille, mais une sorte d’incube, probablement descendant d’Adam et de Lilith,
est une non-morte, assumant une existence intermédiaire entre les deux mondes, révélant
au jeune homme les secrets dont celui-ci a besoin. Elle a une fonction
comparable à celle du Dragon ailé. Mais, en un certain sens, elle a des
rapports avec cette race de vampires qui parcourent le monde, mais qui ne sont pas tous foncièrement maléfiques.
Cette ambiguïté fondamentale de Lilith – et on pourrait en
dire autant de la Mélusine
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