L'énigme des vampires
serpent tous les samedis. C’était le prix payé à Belzébuth pour qu’il
l’aidât à trouver un époux. De plus, elle fut nymphe de chair et de sang, pouvant
avoir des enfants, et elle quitta ses semblables pour venir habiter chez les hommes. »
Cet exposé qui se veut scientifique se réfère à une autre croyance sous-tendue
dans les propos de Paracelse, la croyance en l’existence des Incubes et des Succubes.
En l’occurrence, Mélusine, comme les ondines et les divers êtres féeriques à
mi-chemin entre le Ciel et la Terre, n’a pas d’âme, pas d’esprit. Elle ne peut
acquérir cette âme que si elle s’unit à un homme, si elle se matérialise sous
la puissance du Serpent. Pour Paracelse, Mélusine n’est ni plus ni moins qu’un
Succube, avec tous ses éléments symboliques. Mais le fait qu’elle ne puisse
acquérir une âme que si elle épouse (ou s’unit avec) un homme, établit un rapport
indéniable entre le personnage d’Yseult, fille de sorcière et sorcière
elle-même comme le sont Pressine, la mère de Mélusine, et celle-ci, quel que
soit le motif de la punition dont elle est frappée par la suite. Et quand
Mélusine, au bord d’une fontaine, rencontre Raimondin de Lusignan, se fait
aimer de lui et se fait épouser, on ne peut que penser à Yseult et à Tristan
buvant le philtre. Il y a équivalence entre ces deux légendes, qui sont deux
versions d’un même mythe fondamental. Yseult a besoin ,
pour survivre, de l’étreinte de Tristan au même titre que Mélusine, pour gagner
son âme, se doit de succomber à l’amour de Raimondin. Cela donne une idée
nouvelle du vampire : car si le vampire a l’absolue nécessité de se
fournir en sang chez un être qui n’appartient pas à sa race ambiguë, la victime
désignée a, elle aussi, le besoin vital de partager le sort de celui qu’on appelle
communément son bourreau. Ce qui prouve, une fois de plus, que le couple formé
par Tristan et Yseult est éminemment vampirique. Et il en est de même pour le
couple Mélusine et Raimondin : Mélusine suce le sang de Raimondin pour gagner son droit à posséder une âme, mais Raimondin suce le sang de Mélusine qui lui apporte la fortune
et l’aide dont il avait le plus urgent besoin pour survivre.
C’est dire l’ambivalence de ces êtres qui ne sont pas tout à
fait du Ciel et pas tout à fait de la Terre : « La nuit et le jour
sont deux sœurs dont l’une engendre l’autre et dont la seconde est à son tour
engendrée par la première. » La formule est belle, mais elle justifie ce
qu’on appelle très improprement le manichéisme en le définissant comme une complémentarité nécessaire entre le Blanc et le
Noir, entre la Vie et la Mort, entre le Haut et le Bas. La plupart des êtres
qui, comme Mélusine et Lilith, hantent la nuit – et sont d’ailleurs marqués par
une certaine bisexualité réelle ou symbolique –, sont revêtus d’ailes. Et
pourtant, ils sont rampants comme les serpents.
Et par la force des choses, dans l’imaginaire, les dragons de l’Éden, et aussi
ceux qu’on aurait voulu réintégrer sur le sommet de la Tour de Babel, deviennent,
par le jeu d’un phénomène de concentration concrète, des chauves-souris (mammifères
volants), des corbeaux ou des hiboux (oiseaux prédateurs authentiques). Mélusine,
après que l’interdit a été transgressé par Raimondin (qui ne devait jamais la
voir nue sous son aspect de femme-serpent, et surtout ne pas divulguer ce
secret), Mélusine s’échappe par une fenêtre, en poussant un grand cri d’angoisse
et d’amour (les deux notions sont liées) vers l’élément aérien qui est son
véritable domaine, et d’où elle ne peut revenir que temporairement pour
matérialiser une action ponctuelle bien déterminée, construction ou destruction
de château, annonce prophétique, par exemple. Mais si elle n’est pas présente
dans les réalités visibles du quotidien, elle l’est dans l’ombre, au niveau des
fantasmes de l’imaginaire.
Lilith est un personnage important de l’histoire humaine, même
si elle a été délibérément occultée par les théocrates des religions officielles.
De toute façon, Lilith dérange . Elle est une
sorte d’ange maudit, aux ailes noires de chauve-souris qui s’insinue dans les
anfractuosités de l’ombre. Et, aussi bien par les ponctions qu’elle opère sur
la pensée des humains que par le sang qu’elle prélève dans leurs veines, elle
est incontestablement
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