L'énigme des vampires
une femme-vampire qui ne peut survivre que par cet acte
de succion. Car Lilith, délibérément enfuie du Paradis Terrestre, n’est pas une
femme ordinaire. Elle est une femme sans âme , exactement
comme la fée Mélusine. C’est un élément important pour comprendre le cas du
vampire. Car le vampire n’a pas d’âme , lui non
plus, et sa survie ne peut être maintenue que par des moyens artificiels, ou
tout au moins par des moyens qui ne sont pas « naturels ». Boire le
sang d’une proie est une image, une image forte, concrète, qui met en relief l’importance
de cette dépendance à laquelle, en dernière analyse, est soumis le Vampire. Tout-puissant
dans ses œuvres de l’ombre, le Vampire est d’une extrême faiblesse, parce qu’il
n’a aucune autonomie. Paradoxalement, alors qu’il affirme la plupart du temps
son égoïsme et son égotisme, le Vampire n’existe que parce que les autres le
veulent bien et acceptent ses conditions, même si celles-ci sont dégradantes, pernicieuses
et mortelles. Être à la croisée des chemins, écartelé entre le jour et la nuit,
entre la lumière et l’ombre, entre la vie et la mort, entre Dieu et le Diable, le
Vampire n’est qu’une semblance, puisqu’il est avéré qu’il n’a pas d’âme.
Et pourtant, dans la nuit, il quitte les lieux désertiques
ou en ruines où, pendant la journée, il se terre dans sa tombe. Il peut même
prendre l’aspect du brouillard, ou celui d’un oiseau. Et certains sentent le
frôlement de ses ailes. C’est Lilith qui passe, furtivement, cherchant sa proie
sur laquelle elle va fondre, avide de sentir en elle la saveur doucereuse du
sang qui lui rendra sa puissance perdue. Et l’on entend son cri :
« L’Aigle d’Éli pousse des
cris aigus cette nuit,
il nage dans le sang des hommes
blancs,
au fond des forêts, ô navrante
douleur !
J’entends l’Aigle d’Éli cette nuit.
Il est couvert de sang et je ne
peux le traquer
dans la forêt, ô navrante douleur !
L’Aigle d’Éli garde les mers,
les poissons ne passent plus les
raz.
Il hurle en voyant le sang des hommes [131] … »
Le vol de Lilith, le frôlement de ses ailes, son cri de
détresse et de mort réveillent les terreurs les plus profondes et les plus
lointaines de la mémoire humaine.
VI - LE CORPS SANS Â ME
Il est un conte, largement répandu dans la tradition populaire
orale de tous les pays, qui fournit des informations précises sur cet état de non-mort que l’on suppose être celui du vampire. Ce
conte, dont les variantes sont assez nombreuses, c’est le Corps sans Âme . Très simple et dépouillé dans
certaines régions, il est parfois très développé et enrichi par des apports d’autres
thèmes dans les régions qui, telle la Bretagne armoricaine, se caractérisent
par la variété et l’abondance des récits légendaires. Il en existe deux
versions différentes, l’une de Haute Bretagne, d’expression romane [132] ,
la seconde de Basse Bretagne, d’expression celtique [133] .
Toutes deux se rejoignent sur l’essentiel, mais diffèrent à propos des
circonstances.
Dans la version de Haute Bretagne, le héros est le plus
jeune de trois frères qui sont charbonniers et qui sont désolés parce que, chaque
matin, leur « fouée » est éteinte et dispersée par un mystérieux
géant, en dépit des précautions qu’ils prennent pour en assurer la garde. Et c’est
après s’être querellé avec ses aînés que le plus jeune décide de partir à l’aventure.
Il rencontre une lavandière et lui demande s’il ne pourrait pas trouver du
travail dans les alentours. La lavandière lui révèle que son mari est le géant
qui a bousculé sa fouée, et que c’est un « Corps sans Âme » qui, après
avoir copieusement mangé, dort pendant vingt-quatre heures. Et elle invite le
jeune homme à se restaurer et à se reposer au château du Corps sans Âme.
Dans la version de Basse Bretagne, le jeune homme n’est pas
charbonnier et n’a pas de frères. Il erre dans une forêt en cherchant fortune
et il est amené à départager trois animaux qui avaient beaucoup de difficultés
à procéder à la répartition d’une proie. Pour le récompenser de sa sagesse, les
animaux lui donnent le don – matérialisé par un poil, une plume, une patte – de
pouvoir se métamorphoser en lion, en aigle et en mouche. Il n’hésite pas à
tenter ces expériences et celles-ci se révèlent concluantes. Puis il
Weitere Kostenlose Bücher