L'énigme des vampires
tête en bas un de ses ennemis dans
une cuve remplie de sang afin de le noyer dans ce liquide qu’on nous présente
comme répugnant. Il s’agit là d’une vengeance, d’après le contexte. Mais ne
faut-il pas aller voir plus loin : le sang contient la vie, et ce ne peut
en aucun cas être une mise à mort de la part de Perceval. C’est au contraire un
rituel de régénération, de réanimation même, et
cette idée est renforcée par ce qu’on sait, d’après les scolies de la Pharsale du poète latin Lucain, sur le sacrifice
rituel en l’honneur du dieu gaulois Teutatès ou Toutatis, et aussi par une des
plaques gravées du célèbre Chaudron de Gundestrup, conservé au musée d’Arhus, au
Danemark, véritable illustration de la mythologie celtique. Sur cette plaque, en
effet, on voit un grand personnage plonger, la tête la première, des guerriers
apparemment blessés ou déficients dans une sorte de chaudron : et les
guerriers repartent, fièrement campés sur leurs jambes. Il a existé des rituels
du sang chez tous les peuples, et dans la plupart des cérémonies religieuses. Pourquoi
en serait-il différemment ici ? On peut donc supposer que le Chaudron de
Brân, véritable chaudron de résurrection, mais d’une résurrection incomplète (puisque les ressuscités ne parlent pas),
contient des herbes, peut-être même des baumes, pourquoi pas du Chrême, mais en
tout cas du sang, du sang frais porteur d’énergie vitale.
Pour s’en convaincre, il suffit de se référer à une
tradition grecque, celle qui concerne Jason et Médée, en particulier dans un
épisode qui a été magnifiquement exploité dans les Métamorphoses du poète latin Ovide. C’est l’épisode où Jason, très inquiet de voir son père
Éson affaibli et sur le point de mourir, demande à la magicienne Médée de bien
vouloir le sauver et lui permettre de prolonger sa vie. Le récit d’Ovide, s’il
est entaché de rhétorique littéraire quelque peu usée, n’en est pas moins
révélateur. Médée commence par dire à Jason que c’est une chose contraire à l’ordre
divin, d’autant plus que Jason a proposé de donner un peu de sa vitalité pour
la transmettre à son père. Mais elle ajoute : « Je tenterai de te
procurer un bien au-dessus de ce que tu demandes. J’essayerai de prolonger les
jours de ton père par mon art. » Médée se prépare, attendant que la lune
soit pleine. Elle sort de son palais, « la ceinture flottante, nu-pieds et
les cheveux épars sur les épaules nues, au milieu du profond silence de la nuit,
elle erre sans compagne… Médée, les mains tendues vers la voûte céleste, tourne
trois fois en cercle, trois fois elle répand sur ses cheveux l’onde puisée dans
un fleuve, trois fois elle fait entendre des cris affreux », et lance ses
imprécations pour demander l’aide des divinités, en particulier de la déesse
Hécate. La conjuration ne semble pas inutile puisqu’un char descend des cieux, conduit par des dragons . « Elle y monte, caresse
le cou des dragons soumis au frein, agite les rênes, et disparaît dans les airs.
De là, elle abaisse ses regards sur les vallons de la Thessalie… Elle aperçoit
les herbes que produit l’Ossa, et celles qui croissent sur le sommet du Pélion…
Parmi celles qui peuvent servir ses desseins, elle en arrache quelques-unes
avec leur racine, et coupe les autres avec sa serpe d’airain… Déjà le neuvième
jour et la neuvième nuit l’avaient vue parcourir les campagnes sur son char
attelé de dragons ailés . Elle retourne, sans
que les herbes aient fait sentir leurs atteintes aux dragons autrement que par
leur odeur, et cependant, ils quittent leur vieille
dépouille . [141] »
Revenue dans son palais, Médée compose un philtre à l’aide
de toutes les plantes qu’elle a ramenées, mais elle y ajoute aussi autre chose :
« De la gelée blanche recueillie la nuit aux rayons de la lune, les ailes
et la chair infâme de l’orfraie, les entrailles de ce loup qui, fécond en
métamorphoses, sait donner à son corps la forme de l’homme, la dépouille
écailleuse et transparente d’un serpent…, le foie d’un vieux cerf et la tête d’une
corneille de neuf siècles. » Ce mélange qui paraît ahurissant et digne des
brouets de sorcières, tels qu’ils sont composés encore de nos jours dans
certaines campagnes, n’est cependant pas gratuit : on y reconnaît la rosée
lunaire qui, sur le plan symbolique, équivaut au sperme,
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