L'énigme des vampires
en
avait oublié l’usage, en s’y glissant, se mêle avec la mort. [142] »
On ne peut mieux décrire la réanimation d’un cadavre en mort-vivant, c’est-à-dire
en vampire.
Il faut remarquer que tous les transcripteurs de ces
pratiques ou croyances sont unanimes sur l’utilisation du sang neuf, élément
essentiel des opérations magiques, même s’il est mêlé à d’autres substances, végétales,
animales ou minérales. On en vient à la conviction, bien étayée sur des faits
indiscutables : les morts ont besoin de sang
pour se manifester . Et ce n’est même pas une lapalissade. Qu’on se
souvienne de la scène hallucinante de l’ Odyssée où Ulysse, d’ailleurs sur les conseils de Circé, une connaisseuse en la matière,
remplit une cuve de sang frais pour évoquer les morts. Et ceux-ci, attirés par
l’odeur du sang, se rassemblent autour d’Ulysse et parviennent même à prendre
une forme visible grâce à l’énergie contenue dans ce sang. C’est probablement l’exemple
le plus ancien de vampirisme classique.
Mais la tripartition de l’être en corps, esprit et âme doit
une fois de plus être prise en considération. Dans toute opération du genre de
celle accomplie par la magicienne Érichto, comme par la mythique Médée, le
renouvellement du sang n’est qu’un pis-aller. Le corps est là, certes, même s’il
est inanimé. Le sang, lui, se fige quand il ne s’échappe pas. Redonner, par n’importe
quel moyen, du sang neuf, du sang frais à un corps mort, c’est donc irriguer de
nouveau son corps inanimé. Mais l’âme, que fait-on pour la faire revenir dans
son enveloppe charnelle ? Rien. Et l’étrange Livre
d’Abramelin le Mage , qui présente en termes voilés une méthode pour
redonner semblance de vie à un corps mort, donc pour fabriquer
des vampires , est très précis sur ce point : on ne peut que
redonner l’esprit, qui est véhiculé par le sang, mais l’âme est déjà loin et il
est impossible de la faire revenir. Les réanimés, selon les pratiques de magie,
et bien entendu celles du Diable, sont réellement des Corps sans Âme , et quelques efforts qu’ils fassent, ils
ne peuvent jamais, comme l’enseignent les contes populaires, récupérer pour
eux-mêmes cette essence profonde de leur être qu’est l’Âme, impalpable, et
probablement enfermée dans un œuf, lui-même à l’abri derrière quantités d’enveloppes
vivantes réparties aux quatre coins du monde.
Une anecdote racontée par Apulée dans son roman « milésien », l’Âne d’Or ou les Métamorphoses , est une
excellente illustration de ce thème. Certes, l’auteur, qui appartient au monde
hellénistique de la décadence, mais qui cristallise de nombreuses traditions, de
nombreuses croyances, a tendance à manier l’ironie quand il s’agit de choses
sérieuses. Mais son prédécesseur Lucien de Samosate, philosophe sceptique, et
son successeur Rabelais ont fait de même. À travers l’outrance et la caricature,
on peut discerner des chemins de connaissance pour peu qu’on veuille bien
admettre que le rire, et surtout la dérision, sont le propre de l’intelligence
humaine, laquelle, pour aboutir au plus haut sommet, doit se convaincre qu’il
ne faut jamais se prendre au sérieux.
Cette anecdote est narrée au héros par un de ses compagnons
de voyage, au cours d’une discussion animée sur la magie et la sorcellerie en
Thessalie, pays vers lequel tous se dirigent. Le compagnon raconte comment, dépouillé
par des brigands, son ami Socrate a été recueilli par une cabaretière du nom de
Méroé, « une sorcière, une possédée, capable d’abaisser le ciel, de
suspendre la terre, de tarir les fontaines, de dissoudre les montagnes, de
faire remonter les morts et descendre les dieux, d’éteindre les astres, d’illuminer
le Tartare lui-même ». Socrate, lassé d’être le jouet de cette femme, s’est
enfui, et c’est alors qu’il a rencontré son ami, le compagnon de Lucius. Il
partage la chambre de celui-ci à l’auberge, et pendant la nuit, le compagnon
est réveillé par des frôlements inquiétants. « Mon petit lit, qui était
assez court, auquel il manquait un pied, et qui était vermoulu, fut retourné
par la force du choc, et moi, je roulai et fus jeté à bas du lit, qui se
renversa sur moi et me recouvrit entièrement. » Le malheureux compagnon
est alors témoin d’une scène hallucinante : « J’aperçois deux femmes
d’un âge assez
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