L'énigme des vampires
Brân Vendigeit, ce grand héros du légendaire celtique, serait-il l’équivalent
du Baron Samedi, ce dieu des cimetières tant honoré dans le culte vaudou ?
À ce compte, étant donné la diabolisation revêtue par le personnage, le comte
Dracula est assurément un parfait « Baron Samedi » régnant sur une
troupe de vampires à qui il manque quelque chose ,
en l’occurrence la parole.
Ce chaudron merveilleux n’est d’ailleurs pas le seul de la
tradition celtique galloise. On en trouve un autre dans le récit de Peredur , qui est, répétons-le, la version
archaïsante de la Quête du Graal . Le héros se
trouve dans une forteresse où il n’y a que des femmes : « Il
commençait à causer avec elles, lorsqu’il vit venir un cheval portant en selle
un cadavre. Une des femmes se leva, enleva le cadavre de la selle, le baigna
dans une cuve remplie d’eau chaude qui était plus bas que la porte, et lui
appliqua un onguent précieux. L’homme ressuscita, vint le saluer et lui montra
joyeux visage [138] . » Mais on ne nous
dit pas s’il manquait quelque chose à cet homme mort qui venait ainsi de
ressusciter devant le témoin privilégié qu’est Peredur.
Au reste, le chaudron de Brân le Béni a une bien curieuse histoire,
et elle nous est contée à la fois par Mattolwch et Brân, chacun ayant ses
informations sur le sujet. Mattolwch dit : « Un jour que j’étais à la
chasse en Irlande, sur le haut d’un tertre qui dominait un lac appelé Llynn y Peir (le Lac du Chaudron), j’en vis sortir
un grand homme aux cheveux roux, portant un chaudron sur son dos. Il était d’une
taille démesurée, et avait l’air d’un malfaiteur. Et s’il était grand, sa femme
était encore deux fois plus grande que lui. » Voilà des personnages qui, de
toute évidence, proviennent de l’Autre Monde. Mattolwch continue : « Je
me chargeai de pourvoir à leur entretien, et ils restèrent une année avec moi
sans qu’on m’en fît des reproches. Mais à partir de là, on me fit des difficultés
à leur sujet. Avant la fin du quatrième mois, ils se firent eux-mêmes haïr en
commettant sans retenue des excès dans le pays, en gênant et en causant des
ennuis aux hommes et aux femmes nobles. » Il est regrettable qu’on ne nous
précise pas quelle sorte d’ennuis attiraient cet homme et cette femme surgis d’un
lac et possesseurs d’un bien énigmatique chaudron. Peut-être s’en prenaient-ils
aux hommes et aux femmes nobles pour leur sucer leur sang ? Ce n’est qu’une
hypothèse, mais elle paraît bien conforme au caractère des personnages et aux
vertus du chaudron.
Quoi qu’il en soit, Mattolwch, voulant se débarrasser de ces
indésirables, et suivant le conseil de ses vassaux, les fait enfermer dans une
étrange « maison de fer » qu’il fait chauffer à blanc. L’homme et la
femme fracassent les parois de la maison et s’échappent avec le chaudron, quittant
définitivement l’Irlande. Et Mattolwch de conclure : « C’est alors, je
suppose, qu’il traversa la mer et se rendit près de toi. » Cet épisode remonte
très loin à la fois dans la mythologie et dans le rituel des anciens Celtes. Une
épreuve semblable doit être subie par Cûchulainn et les guerriers d’Ulster, dans
le récit irlandais de l’Ivresse des Ulates [139] .
Il s’agit vraisemblablement d’un rituel sacrificiel propre à la grande fête
celtique de Samain , le 1 er novembre.
Mais Brân complète l’information à propos des possesseurs du chaudron :
« C’est alors qu’il vint ici et me donna le chaudron… Je les ai distribués
de tous côtés sur mes domaines. Ils se multiplient et s’élèvent en tout lieu ;
partout où ils sont, ils se fortifient en hommes et en armes les meilleurs qu’on
ait vus [140] . » En somme, Brân
le Béni a accueilli chez lui un couple de vampires qui prolifère et dont les
descendants occupent le pays. D’ailleurs, le chaudron, imprudemment offert au
roi d’Irlande, portera malheur aux Bretons, et tout particulièrement à Brân, lequel
perdra la vie dans l’aventure.
La question qui se posait à propos de la coupe bue par Tristan
et Yseult se pose une nouvelle fois à propos du chaudron de Brân. Que
contient-il ? Étant donné que ce chaudron est l’un des archétypes qui ont
conduit à l’image classique du Graal, on peut être assuré qu’il contenait du
sang. Dans une des continuations du Perceval de Chrétien de Troyes, le héros plonge la
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