L'énigme des vampires
avancé ; l’une portait une lanterne allumée, l’autre une
éponge et une épée nue. En cet équipage, elles entourèrent Socrate qui dormait
tranquillement. » Le compagnon comprend qu’il s’agit de la cabaretière
Méroé et de sa sœur Panthia. Méroé se lance en violents reproches contre
Socrate, et contre lui-même qu’elle rend responsable de la fuite de son amant. Et
pendant ce temps-là, Méroé piétine tant et plus le lit renversé, au grand
désespoir du compagnon. « Cependant, l’excellente Panthia disait :
« Pourquoi, ma sœur, ne commençons-nous pas par le dépecer à la manière
des Bacchantes, ou encore, en lui attachant les membres, pourquoi ne pas lui
couper le sexe ? – Non, répondit Méroé, laissons-le survivre, lui du moins,
pour recouvrir le cadavre de l’autre malheureux avec un peu de terre. »
Puis, inclinant la tête de Socrate vers le côté droit, elle lui enfonça son
épée dans le cou, à gauche, jusqu’à la garde ; le
jet de sang fut recueilli par elle dans une petite outre qu’elle approcha de la
blessure , et elle prit bien garde de ne pas en laisser nulle part la
moindre trace… Et de plus, pour ne pas faillir au rite des sacrifices, la douce
Méroé introduisit la main droite dans cette blessure jusqu’aux entrailles, et, après
avoir fouillé, elle retira le cœur de mon pauvre camarade… Panthia bourra cette
blessure dans sa plus grande largeur à l’aide d’une éponge, disant : « Toi
éponge qui es née de la mer, garde-toi bien de traverser un fleuve [143] ! »
Cette sinistre besogne achevée, les deux femmes s’en vont, ayant
pris soin cependant de s’accroupir sur la figure du compagnon, « et, jambes
écartées, soulagent leur vessie, m’inondant d’un liquide infect ». Le
lendemain matin, peu désireux de se trouver seul en compagnie d’un cadavre, le
compagnon essaie de partir sans se faire remarquer. Peine perdue ! Mais il
est fortement étonné quand il s’aperçoit que Socrate est bien vivant. Il se dit
qu’il a rêvé. Socrate et lui reprennent leur voyage comme si de rien n’était. Au
milieu de la journée, ils s’arrêtent pour se restaurer, et Socrate, qui a soif,
se penche sur l’eau d’une source. « Mais le bord de ses lèvres n’avait pas
encore tout à fait atteint la surface de l’eau que s’ouvre largement et profondément
la blessure de son cou, l’éponge se détache et tombe, suivie d’un très petit
filet de sang. » Et le malheureux Socrate meurt sans prononcer une parole.
En réalité, il était déjà mort au moment où Méroé lui avait
pris son sang et arraché son cœur. Mais il n’était pas mort à la façon du
commun des hommes. Socrate était un non-mort, un corps seulement animé par son
esprit, mais déjà vidé de son âme. Le symbole de l’éponge est très éclairant. Et
nous voyons aussi qu’il est très dangereux pour un vampire de manger et de
boire : il lui arriverait le même sort qu’au malheureux Socrate. Voilà
pourquoi le comte Dracula ne mange et ne boit jamais quand son hôte Jonathan
Harker se restaure. C’est d’une logique implacable : le vampire se nourrit
uniquement du sang qu’il soutire à ses victimes. Le Socrate d’Apulée, par la
volonté de la sorcière Méroé, est devenu un vampire, mais il ne le sait pas, d’où
son destin tragique et sa disparition totale et absolue.
Car le Vampire n’est pas un être complet. Il n’est qu’un
Corps sans Âme qui cherche désespérément à survivre en absorbant le sang des
autres, dans l’espoir fou de parvenir un jour jusqu’à l’endroit secret où il
pourra récupérer son Âme. C’est ce que nous révèlent les récits mythologiques
et les contes populaires de tous les pays.
VII - LE ROYAUME VAMPIRIQUE DU GRAAL
Quand on erre dans les régions les plus extrêmes du monde, celles-ci
se trouvant souvent au creux de l’inconscient, on a l’impression que tout est
vide et abandonné. Est-ce pour cela que les ermites de l’ancien temps
recherchaient tant les déserts ? Ils y avaient sans doute la possibilité
de se retrouver en face d’eux-mêmes, à l’image du Christ lors de la grande Tentation
sur la montagne. À un autre niveau, le héros de la quête, sans trop savoir ce
qu’il cherche, se trouve parfois désemparé par ce qu’il suscite. « Il
continua d’aller, résolu, bien qu’un peu inquiet de ces rencontres
surnaturelles qui se multipliaient à mesure qu’il avançait. À la
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