L'énigme des vampires
que par l’incapacité du roi à régir son
royaume. Simplement, découvrir le Graal n’a pas de sens, car tout le monde sait
où se trouve le Graal. Mais il ne suffit pas de découvrir le Graal, il ne
suffit pas de le contempler en une extase mystique digne des plus beaux élans
de la foi médiévale. Il faut accomplir un rituel de guérison, un véritable
exorcisme pour prétendre ensuite porter le titre de « Roi du Graal ».
Même la version la plus christianisée, la version cistercienne du XIII e siècle, insiste sur ce point. La mystique est
une chose, l’action en est une autre, et les deux sont complémentaires. Un
découvreur de Graal qui n’est pas mystique comme Lancelot ne réussit pas la
Quête. Mais un mystique qui ne serait pas un héros ne réussirait pas davantage.
C’est ce qui justifie, dans la version dite cistercienne, l’apparition de Galaad,
le héros pur et sans tache, le Prédestiné, à la fois mystique et guerrier, mais
qui est cependant le fils illégitime de Lancelot et de la fille du Roi Pêcheur,
une sorte de Lancelot du Lac qui ne serait pas entaché de défauts, libéré des
démons de la chair, et néanmoins combinant les vertus du saint et celles du « meilleur
chevalier du monde ».
Mais Celtchar, victime d’un « Coup douloureux » au
même titre que le Roi Pêcheur, réapparaît dans d’autres récits, avec sa lance, en
particulier dans celui intitulé la Mort violente de
Celtchar, fils d’Uthecar . On y apprend que la femme de Celtchar a trompé
celui-ci avec un certain Blai Briuga. Alors que Blai Briuga se trouve dans la
maison royale d’Ulster et qu’il regarde le roi Conchobar et le héros Cûchulainn
jouer aux échecs, Celtchar s’approche de lui et lui enfonce sa lance au travers
du corps, « si bien qu’une goutte de sang, au bout de la lance, vint sur
le jeu d’échecs ». On remarquera l’importance attribuée à la goutte de
sang au bout de la lance : on retrouve ici la fameuse scène du Cortège du
Graal. Mais l’acte commis par Celtchar, aussi justifié qu’il soit par son désir
de vengeance, est un crime social, car Celtchar était l’hôte du roi au même
titre que Blai Briuga. Donc, Celtchar doit être châtié selon les usages. Mais
qui doit exercer la justice ? C’est alors la goutte de sang qui sert de
témoignage : l’endroit où elle est tombée sur l’échiquier permet de savoir
qui, de Conchobar ou de Cûchulainn, se trouvait le plus près de la victime.
Voilà donc une bien étrange histoire qu’on ne peut manquer
de rapprocher de la Quête du Graal, surtout dans sa version galloise où il est
nettement question d’une vengeance que le héros doit accomplir contre les
Sorcières de Kaer Lloyw, meurtrières de son oncle. On a l’impression que dans
les différents récits de la Quête, les rédacteurs se sont trouvés gênés par des
détails très archaïques qu’ils ne comprenaient plus ou
qu’ils ne voulaient pas comprendre . Après tout, les gouttes de sang qui
tombent de la lance, à l’avant du cortège, peuvent très bien être le souvenir
des gouttes-témoins d’un acte sanglant qui reste à venger par un rituel
approprié, nécessairement de nature sanglante. Et l’on sait que le Cortège du
Graal n’a, au fond, pas d’autre but que de déterminer quel sera celui qui
guérira le Roi Pêcheur et qui vengera le « Coup douloureux » qui lui
a été infligé. C’est aussi par un sacrifice sanglant dans lequel il est la
victime que le Christ rachète l’humanité et restitue à celle-ci le sang qu’elle
avait perdu au moment du meurtre – symbolique – du nomade Abel par le sédentaire
Caïn.
Cependant, dans le récit irlandais, Celtchar, après de nombreuses
discussions, est condamné à débarrasser l’Ulster de trois fléaux. C’est encore
une analogie flagrante : le héros du Graal a pour mission de redonner la
prospérité au royaume en accomplissant la vengeance et la guérison du roi, c’est-à-dire
rétablir un équilibre cosmique qui a été rompu par un acte mauvais. Et pour ce
faire, le héros du Graal devra affronter diverses épreuves, toutes périlleuses,
notamment se mesurer avec des monstres, qu’ils soient dragons, serpents ou
personnages plus ou moins diaboliques. Le seul point de discordance est, dans
le récit irlandais tout au moins, que Celtchar est à la fois le Roi Pêcheur, à
cause de sa blessure et de sa lance, et le héros du Graal, puisqu’il a pour mission
de
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