L'énigme des vampires
initiatrices du héros. Cette curieuse solution du problème du
Graal, réduite à une affaire de vengeance, trouve un écho dans certaines versions
marginales, quand il est fait allusion à un « Coup douloureux », blessure
inguérissable infligée au Roi Pêcheur par suite d’une longue suite de
traîtrises et de malentendus.
De toute façon, une interprétation s’impose ici : une
injustice a été commise, injustice sanglante qui équivaut à un sortilège, et
dont les victimes sont non seulement le Roi blessé, mais tous ceux qui font
partie du Royaume, et le Royaume lui-même. Le sang a été versé. Le Roi et son
royaume sont exsangues, affaiblis, dans un état de non-mort. Le seul moyen de
les faire surgir de leur torpeur est de faire couler le sang à nouveau dans un
acte qui est plutôt un acte régénérateur qu’une simple vendetta entre membres
de clans opposés.
C’est là où la relation entre la légende du Graal et le vampirisme
apparaît la plus nette. Si l’on va jusqu’au bout de cette constatation, on se
trouve en face d’analogies troublantes. Dans leur état de léthargie, de
non-mort, les habitants du Château du Graal sont des vampires qui, ne pouvant
plus assurer le renouvellement de leur sang, sont en train de disparaître. L’aspect
désolé du pays, la stérilité, l’abandon, la tristesse, tout cela ressemble fort
à une sorte de caveau. D’ailleurs, dans certains textes, le Château du Graal se
nomme Corbénic, ce qui est un terme celtique qu’on peut traduire par « Cour
Bénie », étant entendu que « cour » (comme yard en anglais) a le sens de cimetière. Il est
évident que le Royaume du Graal se trouve dans l’Autre Monde, mais pas dans n’importe
quel Autre Monde : ce n’est pas le Ciel, ni l’Enfer, mais un pays
intermédiaire très voisin de ces « domaines mystérieux » que les
Celtes plaçaient dans les grands tertres mégalithiques, monuments funéraires
autant que sanctuaires. Le château du Graal peut donc très facilement être
comparé avec le Château de Dracula, même si les motivations profondes du Roi
Pêcheur et de ses sujets sont aux antipodes de celles du sinistre comte vampire
et de ses esclaves maudits. Mais il faut reconnaître que Jonathan Harker, dans
le château de Dracula, a quelque chose en commun avec le héros du Graal, qu’on
le nomme Perceval, Parzival, Perlesvaux ou Peredur. Ce qu’on demande à ce héros
du Graal, c’est de poser une question : s’il le faisait, le sortilège qui
pèse sur le royaume serait aboli, le Roi Pêcheur serait guéri et les habitants
du royaume ne seraient plus des non-morts. Au fait, qu’attend donc Dracula de
son hôte ? Veut-il sucer le sang qui coule de son doigt blessé, ou bien, inconsciemment,
espère-t-il que Jonathan Harker lui enfoncera un pieu dans le cœur, lui tirera du sang , mais en même temps le délivrera, le
restituant dans sa plénitude infinie qui est celle de tous les êtres de Dieu ?
Il ne faut pas oublier que dans la version allemande, la question que doit poser
Parzival au Roi Pêcheur est la suivante : « De quoi souffres-tu, mon
oncle ? » La question une fois posée, Anfortas est guéri. Car il s’aperçoit
que tout cela n’était qu’illusion et fantasmagorie. Débarrassé des monstres qui
l’encombrent, l’être humain sent de nouveau le sang circuler dans ses veines.
La description du Cortège du Graal est elle-même chargée de signification.
Quelles que soient les variantes qui s’y manifestent, le schéma est identique :
une jeune fille très belle porte le Graal, des serviteurs portent un tailloir (instrument
fait pour trancher la viande) et le cortège est précédé par un « valet »
tenant une lance qui saigne . C’est précisément
cette lance qui renvoie au plus profond de l’inconscient. Certes, il serait
facile, en adoptant la méthode psychanalytique, de voir dans le Graal le
symbole de la féminité, tant par sa forme de coupe que par le fait qu’elle est
portée par une femme, et de reconnaître dans la lance un symbole masculin
phallique. C’est une explication qui en vaut une autre, mais il est impossible
de s’y borner sans se priver de la prodigieuse richesse du mythe.
La lance justifie le Graal comme le phallus justifie le
vagin. C’est certain. Mais à partir du moment où la coupe qu’on nomme Graal
contient le Sang du Christ, la vision devient autre. Dans un contexte purement
chrétien, cette mystérieuse lance
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