L'énigme des vampires
portée au-devant du cortège ne pouvait pas ne
pas être la lance du centurion Longin, avec laquelle celui-ci, s’il faut en
croire les textes évangéliques, perça le flanc du Christ. L’épisode est controversé,
car l’on sait que le personnage de Longin, le centurion, est un ajout postérieur,
ce que son nom indique clairement puisqu’il est dérivé du nom grec de la lance.
On sait aussi que la tradition du « coup de lance » est plus
symbolique que réelle, l’usage étant de briser les jambes des crucifiés pour
les achever, et non pas de leur percer les flancs. Pourtant, le « coup de
lance » de Longin doit bien avoir un rapport avec le « coup douloureux »
dont, d’après certaines versions de la légende, fut victime le gardien du Graal.
Dans cet amalgame d’apports hétérogènes, où se mêlent des spéculations
ésotériques, des formules théologiques, des principes ritualistes et des
vestiges d’anciennes mythologies, il est bien difficile de reconnaître l’origine
d’un détail ou d’un acte. Cependant, il est très probable que cette lance provienne
de la tradition celtique.
Elle est présente en effet dans les plus anciens textes irlandais,
à propos de cette race de dieux qu’étaient les Tuatha Dé Danann, prédécesseurs
des Gaëls sur la terre d’Irlande. Ces Tuatha Dé Danann, ou « peuples de la
déesse Dana », avaient rapporté des îles du nord du Monde la Sagesse, la
Magie et le Druidisme, c’est-à-dire une conception métaphysique, sociale et
religieuse des rapports que peut et doit entretenir l’être humain avec des
puissances spirituelles situées au-dessus, ou ailleurs .
Mais pour matérialiser cet apport, les textes font mention d’un chaudron merveilleux, d’une épée invincible, et d’une
lance extraordinaire. Le chaudron est évidemment l’un des prototypes du Graal. L’épée
est nommée Caladbolg et n’est pas autre chose
que celle du roi Arthur, Excalibur, en gallois Caledfwlch ,
ce qui signifie « violente foudre ». Quant à la lance, elle est dite « Lance
d’Assal », « la lance qu’avait Lug : on ne pouvait gagner de bataille
sur celle ou celui qui l’avait en main [147] ». D’après le
récit irlandais de la Mort des enfants de Tuirenn ,
cette lance avait un pouvoir « si destructeur qu’il fallait toujours
tremper sa pointe dans un chaudron pour éviter que la ville où elle se trouvait
ne s’embrasât [148] ». Cette image ne
peut qu’évoquer la lance portée devant le Cortège du Graal. Mais ailleurs, on
dit que « mort est celui dont elle verse le sang », ce qui n’est pas
sans rappeler la particularité magique de Tristan. Et c’est aussi la lance d’un
héros irlandais très peu connu et assez déroutant, du nom de Celtchar, fils d’Uthecar.
Dans le récit gaélique intitulé le
Cochon de Mac Dathô , alors que les guerriers réunis se disputent, comme
il est d’usage, le « morceau du héros », autrement dit la
reconnaissance par les autres de leur inégalable valeur, le nommé Celtchar
affirme sa prétention à être le premier, le plus beau et le plus brave. Mais, toujours
selon les usages, il est contesté. Il est même franchement récusé par le
célèbre guerrier Cet, fils de Maga. Et celui-ci lui rappelle certains événements
antérieurs : « Je suis venu jusqu’à la porte de ta maison. On criait
sur moi. Tout le monde arriva. Tu es arrivé aussi. Tu allas dans un défilé où
tu me rencontras. Tu me lanças un javelot. Je t’en lançai un autre qui te perça
la cuisse et le haut des testicules. Tu as une maladie de vessie depuis ce
temps-là, et, dans la suite, tu n’as plus engendré de fils et de fille. »
On ne peut pas mieux accuser Celtchar d’être impuissant et stérile, ce qui l’exclut
d’office de la compétition, la virilité d’un homme étant la condition
nécessaire de sa fonction guerrière. Mais, de plus, on remarque que la blessure
de Celtchar est bien spéciale : elle ressemble fort à celle du Roi Pêcheur
dont la stérilité et l’impuissance entraînent le dépérissement de tout le
royaume. Celtchar, comme le Roi Pêcheur, comme l’Anfortas de Wolfram von
Eschenbach, est un être à qui il manque quelque chose, un être incomplet, et la
place de Celtchar devrait être de se terrer dans une quelconque forteresse et
de ne plus en sortir tant qu’il n’aura pas trouvé quelqu’un pour le guérir.
Car la célèbre Quête du
Saint-Graal ne s’explique
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