L'énigme des vampires

anathématisé, de s’être envoyé au bûcher, au sens propre comme au
sens figuré. Quand Jésus donne son Sang, sous l’aspect du Vin, à ses disciples,
et, à travers eux, à tous les Chrétiens présents et à venir, il donne la Vie, c’est
certain, et il l’a répété constamment au cours de sa mission. Cette Vie n’est
pas la vie matérielle : elle représente un degré plus élevé de l’existence,
donc une « autre vie », qui ne peut se réaliser que dans une autre
dimension, dans un Autre Monde. Cela aussi, il l’a répété : « Mon
royaume n’est pas de ce monde. » Et cette Vie, sous l’aspect du Vin, est
indispensable à tous ceux qui désirent franchir les frontières de l’apparence
et parvenir aux réalités supérieures, le « Monde des Idées pures »
que Platon mettait en lumière dans ses diverses allégories. Donc le Vin, consacré
par Jésus, et consacré ensuite par les prêtres, qui sont – en principe – investis
du même pouvoir, est le Sang de Jésus, le Sang du Crucifié. On répète à loisir
qu’il a versé son Sang pour le rachat des pécheurs. Cela ne veut rien dire :
les pécheurs ne sont que les humains en proie à leurs faiblesses, à leurs incertitudes,
à leur étiolement dans une existence qui n’est
que transitoire, et somme toute parfaitement illusoire.
    Si l’on comprend bien le message, car il y en a un, et il
est probablement le message le plus essentiel donné à l’humanité, en versant
son sang, et en nous le laissant sous l’apparence du Vin, Jésus nous fait
partager la vie de l’Esprit dont il est
lui-même le dépositaire et le distributeur. Mais il n’est pas question d’âme, il
n’est pas question de cette Âme, troisième élément de l’être, le plus
insaisissable, le plus volatil , le plus
mystérieux aussi, et qui échappe à toute entreprise de captage. Le conte du Corps sans Âme est une brillante démonstration de ce
point de vue. Et il importerait de savoir pourquoi le vampire Dracula a un
corps et un esprit sans avoir d’âme. Le nœud du problème se trouve là. Car il y
a encore quelque chose de supérieur au vin, c’est l’eau-de-vie, au nom
révélateur, élément résultant d’une ultime sublimation, d’une ultime
distillation qui permet l’élimination de toutes les impuretés, de toutes les
imperfections. L’image parle d’elle-même sans qu’il soit besoin de nombreux
commentaires : le corps est le pain ; le « mental », c’est-à-dire
l’esprit, est le sang ; mais l’âme est ce qu’on appelle parfois « l’esprit
de vin ». Et Jésus n’a donné à ses disciples que le corps et l’esprit, avertissant
cependant qu’il y aurait une troisième étape, celle de l’Esprit Saint, au
moment de la Pentecôte. Mais la confusion entre « esprit » et « âme »
est totale, et l’on a bien du mal à exprimer des subtilités dans un pauvre
langage qui doit se contenter de mots.
    Or, si l’on reprend le thème des Vampires, qui ne peuvent
mouvoir leur corps que grâce à leur esprit, mais qui
n’ont pas d’âme , si l’on reprend la légende du Graal où l’on voit un roi
et ses sujets végéter littéralement dans un pays stérile et en ruine, on ne
peut qu’en venir à la conclusion suivante : les êtres humains, imparfaits,
attendent le sang qui leur donnera la Vie, et le
souffle divin qui leur redonnera leur âme, perdue dans des conditions
mystérieuses lors de la chute, quelles que soient les motivations et les
circonstances de cette chute. Le royaume du Graal, stérile et plongé dans les
ténèbres, est sous le coup d’une malédiction. Les Vampires, qui ne peuvent
prolonger leur vie corporelle qu’en abordant le sang des autres, sont l’objet d’une
malédiction. Mais, si le Roi Pêcheur et ses sujets attendent celui qui leur
redonnera la Vie, les Vampires n’attendent rien. Ils se servent eux-mêmes où
ils peuvent. La polarité est inversée.
    On pourra se demander à quoi aboutit ce raisonnement. À la
constatation que le modèle christique imprègne toutes les spéculations et
toutes les certitudes de l’esprit humain. Point de mire des croyants, le Christ
apparaît comme un être humain ayant réussi à transcender l’état humain et à
parvenir à un stade supérieur du niveau de conscience. Il ne s’agit pas ici de
discuter de la « divinité » de Jésus ; il s’agit seulement d’affirmer
que le personnage Jésus le Nazaréen ouvre la voie à une