L'énigme des vampires
cortège ?
Il en est de même dans le récit irlandais de la Destruction de l’Hôtel de Da Derga [150] ,
où l’on raconte qu’un homme, très grand, presque un géant, plonge une lance
dans un chaudron où cuit un veau dans un liquide noir et horrible : au
moment où la lance pénètre le contenu du chaudron, une flamme jaillit. On
apprend aussi que cette lance peut tuer un homme à chaque coup, neuf hommes à
chaque jet, l’un des neuf hommes étant toujours un roi ou un chef. Et l’on ne
peut apaiser sa chaleur qu’en la plongeant dans un chaudron rempli de poison. C’est
à ce moment que la flamme jaillit, comme pour manifester la puissance
prodigieuse et infernale de cette arme. D’ailleurs, dans le même récit, le
héros Mac Cecht possède lui-même une énorme lance rouge-noire et bourbeuse, dégoulinante
de sang. On nous dit enfin que c’est le forgeron divin Goibniu qui a fabriqué
cette arme : il s’est même blessé avec elle en la fabriquant et a dû se
guérir de sa blessure par un vin magique. Et là, nous voyons une curieuse
analogie entre le sang et le vin.
Et nous retrouvons cette lance dans le récit de l’Ivresse des Ulates [151] ,
où elle est décrite terrible quand l’ardeur la prend. On ne peut venir à bout
de cette ardeur qu’en la plongeant dans un mélange de sang de chien, de sang de
chat et de sang de druide. Le mélange est plutôt curieux. Mais, le fait de
plonger cette lance dans le chaudron déclenche le jaillissement de ruisseaux de
sang. Dans le récit gallois de Kulhwch et Olwen [152] ,
il est également question de cette lance, tenue par Bedwyr (le Béduier des
romans de la Table Ronde), l’un des plus anciens compagnons d’Arthur :
« La pointe de la lance se détachera de la hampe ; elle tirera du sang du vent et descendra de nouveau
sur la hampe. » Il est probable que Wolfram von Eschenbach se réfère à la
même tradition quand il dit, dans Parzival , qu’un
seul coup de la Lance, celle présentée en avant du Cortège, pourrait anéantir
le pays de Logres tout entier, c’est-à-dire le royaume d’Arthur. Au fond, la
Lance qui saigne est bien l’équivalent des canines qui dépassent si effroyablement
de la bouche du comte Dracula et de tous ses émules vampires. Pour que le sang
coule, il faut obligatoirement une blessure, il faut inévitablement percer la
chair vivante, aussi bien à l’aide d’une arme que des dents. Et il y a une
constante, dans toutes ces histoires, c’est l’obligation du sang qui coule.
Mais le sang peut avoir des substituts symboliques. La sève
des arbres est du sang, et les Druides le savaient bien lorsqu’ils cueillaient
le gui pour en recueillir les sucs précieux, d’autant plus précieux qu’ils
étaient déjà le résultat d’une transformation, d’une sorte de sublimation. C’est
dans ce sens qu’on peut comprendre le rôle primordial du Vin dans certaines
traditions sacrées, y compris dans les traditions musulmanes qui, on le sait, interdisent
son usage matériel. Car le vin est de la sève
fermentée , donc un élément vital qui a déjà subi une sublimation, parvenant
à un état de pureté et de puissance qu’il ne possédait point auparavant. Le vin,
d’un point de vue symbolique, est une énergie épurée, le Sang du Nouvel Homme, celui
qui a acquis la Sagesse et l’Immortalité. On doit revenir ici à l’acte
primordial qu’accomplit Jésus devant ses disciples au moment de la Cène : il
fait boire à chacun d’eux une gorgée de vin en disant : « Ceci est
mon sang. » Il s’agit là, répétons-le, d’un rite de fraternité, d’une communion , mais ce rite ne pouvait se faire sans un
support significatif. Si le pain représente le corps, c’est-à-dire la masse
compacte, l’une des trois composantes de l’être, le vin, liquide, rouge , partiellement subtil, résultat d’une maturation
et d’une fermentation, représente quelque chose de plus élevé, l’esprit [153] .
C’est d’ailleurs là que la confusion s’est installée. Et
elle dure depuis des siècles. Le Vin représente l’Esprit, mais non pas l’Âme. Jésus
a agi dans un contexte juif, dans un cadre traditionnel hébraïque où l’on ne
faisait pas encore de dichotomie entre le corps et l’âme. Ce sont les Pères de
l’Église qui, tombant dans le dualisme iranien, ont dévié le sens profond de l’Eucharistie.
Et pourtant, ce n’est point faute d’avoir ergoté, discuté, de s’être
mutuellement
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