L'énigme des vampires
rétablir l’équilibre du royaume.
Le premier fléau est Conganches mac Dédad, frère de Cûroi, le
rival traditionnel de Cûchulainn, personnage féerique, bien entendu, appartenant
à la caste des Tuatha Dé Danann. Ce Conganches ravage le pays impunément parce
que les lances et les épées sont sans effet sur lui. Celtchar s’arrange alors
pour faire épouser à Conganches sa fille, qui est curieusement nommée Niam, soit
« Ciel » au sens religieux du terme (gallois nef , breton armoricain neñv ).
Niam se marie donc avec le personnage et parvient à apprendre de lui la seule
façon dont il pourrait être vaincu et tué : « Il faut enfoncer des
pointes rouges dans mes plantes des pieds et dans mes tibias. » Cela
rappelle le conte du Corps sans Âme , quand la
femme – ou la prisonnière – du monstre lui fait dire le secret de son
invulnérabilité. Certes, on pourrait évoquer l’histoire biblique de Samson et
Dalila. On pourrait aussi rencontrer de multiples exemples de cette sorte dans
des récits de traditions fort différentes. Dans la
Mort de Cûroi , un autre texte irlandais, c’est grâce à la complicité de
la femme de Cûroi que Cûchulainn vient à bout de ce personnage bizarre qui est
son double noir. Et dans la quatrième branche du Mabinogi gallois, c’est
l’étrange Blodeuwedd, la « femme née des fleurs », devenue plus tard
la « femme-hibou », qui, à force de ruses, obtient de son époux, Lleu
Llaw Gyffes, la méthode qui conviendrait pour qu’il fût tué. Bien sûr, Blodeuwedd
ne se prive pas d’avertir son amant afin de se débarrasser ainsi d’un mari
encombrant.
Niam ne faillit pas à cette tradition de l’épouse traîtresse.
Elle va immédiatement rapporter les paroles de Conganches à son père. Celui-ci,
on s’en doute, met à profit ce qu’il a appris pour tuer le personnage
monstrueux qu’on lui avait ordonné d’éliminer, ce qui lui permet de s’attaquer
au deuxième fléau de l’Ulster, en l’occurrence un redoutable chien qui offre
toutes les apparences du Cerbère grec. Mais il est encore plus terrible que
Cerbère, car il ne se contente pas de garder les portes de l’Autre Monde, il
opère de fréquentes incursions dans ce monde-ci pour y ravager tout ce qu’il
trouve. C’est un des aspects du vampire maléfique et destructeur d’une humanité
qu’il prive peu à peu de ses forces vitales. Grâce à sa force, mais aussi à son
intelligence rusée, il vient à bout du chien infernal. Mais le troisième fléau,
encore un chien redoutable, sera fatal à Celtchar. Il parvient à tuer le chien,
mais en retirant sa lance du corps de l’animal et en la brandissant en signe de
triomphe, « une goutte du sang du chien roula sur la hampe de la lance et
vint à travers lui jusqu’à terre, si bien qu’il en mourut [149] ».
Celtchar a accompli l’acte régénérateur qui lui était imposé en compensation de
la faute commise, mais il le paie aussi de sa propre vie. Ainsi le sang a-t-il
un pouvoir redoutable : c’est la vie, donc la mort…
Cependant, quelle que soit la valeur de Celtchar et son
double rôle de Roi Pêcheur et de Perceval, sa lance est en elle-même un objet
magique redoutable. Son origine est obscure et certains textes la mettent en
possession d’Oengus, l’un des Tuatha Dé Danann, le roi du Sidh na Brug , le Tertre de Newgrange, qui s’en sert
pour aveugler le roi Cormac qui avait fait violence à sa sœur. C’est encore une
affaire de sang. D’ailleurs, la lance d’Oengus a la particularité d’être
toujours sanglante et son nom, Crimall , signifie
« tachée de sang ». D’autres textes, comme le
Sort des enfants de Tuirenn , en font la « Lance d’Assal » que
le dieu Lug, en compensation du meurtre de son père, oblige les fils de Tuirenn
à aller quérir pour lui dans un pays étrange et merveilleux. Cette « Lance
d’Assal » brille constamment et elle foudroie ceux dont on la menace :
elle est donc en rapport avec l’éclair et le tonnerre. Au moment où elle est en
possession de Celtchar, elle apparaît comme ayant un pouvoir venimeux et
destructeur.
Pour atténuer cette puissance permanente, il faut la plonger
dans un chaudron rempli de « fluide noir », c’est-à-dire de sang déjà
décomposé. Cette lance sanglante et le chaudron contenant du sang sont
incontestablement complémentaires : faut-il y voir les prototypes de la
Lance et du Graal qui sont postés au cours du fameux
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