L'énigme des vampires
pacotille et de leurs tonitruances. J’ai horreur du bruit des explosions, quelle
qu’en soit l’origine. Pendant la seconde guerre mondiale, je me suis trouvé
sous les éclatements de bombes qui n’étaient pas des jouets, et moi qui, auparavant,
avais la terreur de l’orage, j’ai compris que le tonnerre était un grand cri d’amour
des divinités cachées dans les nuages qui n’avait rien de commun avec les
hurlements de haine vomis par les hommes quand ils font la guerre. On peut
toujours s’arranger avec le Ciel, jamais avec l’Enfer. Le Diable est impitoyable
dans ses actions destructrices, d’autant plus qu’il excelle à prendre les
formes les plus naturelles d’un homme ou d’une femme. Je n’en veux pour
témoignage que cet épisode de la Quête du Saint-Graal où Perceval, privé de monture, erre dans une région désolée : « Perceval
s’est couché, le visage contre terre. Cependant le jour baisse ; lentement
les ombres du crépuscule se glissent entre les grands arbres et resserrent
autour de Perceval leur cercle magique. La nuit. Soudain un bruit léger le tire
de sa torpeur ; il lève la tête : une femme est devant lui. Un rayon
de lune la pare d’une beauté féerique, et sa voix est douce. » Et cette
femme lui propose un « beau cheval » pourvu qu’il veuille bien lui
promettre de faire sa volonté quand elle le lui demandera. Perceval promet tout.
Et le voilà sur un cheval noir « à faire peur » qui l’entraîne au
bord d’une falaise. Heureusement, il se signe, et quand il rouvre les yeux,
« il était couché sur un rivage inconnu, battu de flots furieux où son
cheval s’engloutissait, dans des jaillissements qui flamboyaient comme le feu [155] ».
Et ce n’est pas fini : invité sur une nef par « une femme d’une
grande beauté, somptueusement vêtue », il accepte, et, quelque peu
échauffé par de doux breuvages, « le désir s’empare de lui ». Ayant
prié d’amour la femme si merveilleusement belle, il se voit proposer un marché :
« Elle consent, à condition qu’il promette d’être tout à elle, de ne
jamais faire que ce qu’elle demandera. Perceval promet tout. « Mais, au
moment de succomber, il aperçoit la croix gravée sur le pommeau de son épée. »
Toute droite, la poignée vers le ciel, il élève devant ses yeux la loyale épée,
et soudain le lit, le pavillon, tout s’écroule dans une fumée et une puanteur
horribles [156] . »
Car le Diable rôdait dans la nuit que je hantais. J’apprenais
à le débusquer, à le faire apparaître devant moi dans l’espoir de le réduire à
ce qu’il est en réalité, une outre pleine de vent, et qui se dégonfle quand on
a le courage de l’affronter en face. Mais le Diable est malin : il s’arrange
souvent pour déléguer ses créatures sur la terre afin de mieux tromper les
humains et les engluer dans des pièges mortels. Un film comme les Visiteurs du Soir , de Marcel Carné, qui m’avait
tant impressionné et tant conforté dans ma passion pour le Moyen Âge, est très
révélateur à cet égard. Je savais donc que le Diable pouvait « animer »
des corps morts et les faire évoluer devant moi avec l’apparence de la vie, et
que la terre, sans qu’on s’en aperçoive, était parcourue par des êtres qui
pouvaient se gorger du sang de leurs victimes, des vampires dans la meilleure des traditions. Et, avec une habileté extraordinaire, ces
vampires dressaient des pièges auxquels je devais fatalement me heurter en
investissant la nuit et en explorant les moindres recoins de l’ombre.
Des pièges, j’en ai vu souvent s’ouvrir sur mes chemins nocturnes.
Parfois, je les ai évités à la dernière seconde, reculant le plus loin possible
ou sautant par-dessus avec toute la force de mon refus. Mais il m’est arrivé d’y
tomber avec, ce qui est une circonstance aggravante, une sorte de louche
satisfaction intérieure. Puisque la nuit dans laquelle je m’engloutissais ainsi
était remplie d’êtres à ma mesure, que pouvais-je espérer de mieux que de les
susciter et de m’en servir comme de « faire-valoir », un peu comme au
cours d’un jeu d’échecs mené solitairement, quand on prie les puissances des
Ténèbres de tenir le rôle de l’adversaire ? On appelle cela de l’orgueil. Mais
j’ai toujours préféré l’orgueil à la vanité, l’outrance à la réserve, l’hyperbole
à la sagesse. Explorer la nuit et son monde étrange était pour moi
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