L'énigme des vampires
dans le silence d’un désert ;
on en jouit, mais on ne peut les peindre. » Et comme l’auteur de René , « j’entrai avec ravissement dans les mois
des tempêtes », ces mois qu’en Bretagne, on appelle les « mois noirs ».
Car la nuit y était au rendez-vous. Et, bien entendu, au fur et à mesure que
cette nuit montait en moi et que je devenais familier avec elle, je la peuplais
d’êtres à ma convenance, êtres beaux et suaves, mais également personnages fantastiques
issus de ma mémoire. Je savais en effet que ma mémoire remontait beaucoup plus
loin, beaucoup plus haut que le moment de ma naissance officielle, quelque part
dans une rue qui portait le nom de Giordano Bruno, hérésiarque – ou dit tel – brûlé
sur la place publique pour avoir prétendu le contraire de ce qu’affirmaient les
doctrines orthodoxes de l’époque. Peut-être, après tout, discernais-je des
déités informelles dans l’épaisse fumée qui s’élevait du bûcher de Giordano
Bruno… Je ne sais pas. Mais c’est ainsi que la nuit est devenue ma complice et
mon inséparable compagne – la plus fidèle aussi ! – au temps des grandes
marées d’équinoxe, quand elle était constellée de chauves-souris et de
chats-huants qui surgissaient de leurs repaires dès que le soleil avait fini de
mourir.
Le vol des chauves-souris m’intriguait. Ma grand-mère avait
beau me répéter qu’il fallait se méfier de ces affreuses bêtes parce qu’elles
pouvaient s’accrocher dans mes cheveux, rien n’y faisait. Je les regardais
souvent, les soirs d’été, quand nous prenions le frais sur le perron, en face
du jardin de mon grand-père maternel, lorsqu’elles tournoyaient dans la
pénombre, et j’admirais l’habileté qu’elles manifestaient à ne jamais heurter
quoi que ce soit dans leur vol rapide et circulaire qui dispensait des
bruissements, des frôlements, des invitations à les rejoindre en ce monde
étrange d’où elles surgissaient pour m’indiquer des routes sur la carte du ciel.
Certes, ma grand-mère avait peur des chauves-souris. Elle n’appréciait pas plus
les hiboux et autres chouettes qui hululaient dans la torpeur des nuits. Leurs
cris lui annonçaient des événements surprenants, mais plutôt maléfiques, en
tout cas des métamorphoses indésirables dans un ordre du monde fixé une fois
pour toutes par la volonté divine.
Mais moi, je ne pouvais m’empêcher d’aimer les hiboux et
tous ces oiseaux dits de malheur, ces animaux qui refusaient la lumière du jour
pour mieux s’enfoncer dans les mystères de l’ombre. Que de fois, bien plus tard,
lorsque je roulais en voiture sur ces routes de Bretagne intérieure que je
connais si bien, pendant la nuit bien sûr, que de fois me suis-je arrêté, braquant
mes phares sur ces mystérieux oiseaux pour essayer de regarder au fond de leurs
prunelles intensément dorées et y découvrir les réponses aux questions
angoissées que je me posais et dont je savais qu’ils étaient les précieux
dépositaires…
C’est à la même époque que je commençai à me plonger avec
délices dans la lecture des histoires les plus fantastiques qu’on voulait bien
me laisser à portée de la main et des yeux. Du plus lointain de mes souvenirs
de lecteur, surgissent des images en complète contradiction avec le quotidien
que je subissais. Il y avait de tout : des cités mystérieuses enfouies
dans la montagne, des civilisations qu’on croyait disparues mais qui
perduraient en quelque contrée encore inexplorée, des campagnes fleuries peuplées
d’êtres possédant au plus haut degré la connaissance des secrets de l’univers, et,
bien entendu, des cavernes recelant des trésors fabuleux ou d’étranges
hiéroglyphes que je m’efforçais de décrypter lors de mes longues reptations
dans des souterrains éclairés par les lampes de cristal. Et, dans toute cette
fantasmagorie, les chats, glissant le long des parois verticales, toutes griffes
dehors, ronronnaient de contentement quand je me baissais vers eux, caressant
leur pelage électrique, guettant les éclats bleus, verts ou rouges qui fusaient
de leurs yeux et qui explosaient dans le ciel comme des fusées, lors des grands
feux d’artifices qui ponctuaient régulièrement les réjouissances organisées, nationales
et patriotiques auxquelles on m’obligeait à assister sous peine de n’être point
« comme tout le monde ».
Je me moquais éperdument des feux d’artifices, de leurs couleurs
de
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