L'énigme des vampires

hécatombes des champs de bataille et les massacres
sous les bombes, des manifestations vampiriques incontestables. Et que dire de
ces images d’archives cinématographiques qui montrent le Führer communiquant
ses pouvoirs vampiriques aux fanions des unités nazies, lors du grand rassemblement
de Nuremberg, en 1937, alors qu’une foule aux limites de l’hystérie l’acclame
de toute son énergie démultipliée ? Hitler avait déclaré qu’il était l’Allemagne,
ou plus exactement, pour reprendre l’expression officielle, le « Reich
Grand Allemand ». Et tous les Allemands se sont précipités pour lui offrir
leur sang. Mais ce sang n’était pas suffisant pour nourrir l’ambition démesurée
de ce personnage : c’est pourquoi il s’est jeté sur l’Europe. La frénésie
du vampire ne connaît pas de bornes quand il veut accomplir la mission dont il
croit être investi : dominer le monde en répandant autour de lui de plus
en plus de vampires à sa dévotion. C’était le plan du comte Dracula, vu par
Bram Stoker, et contre lequel s’était acharné Abraham van Helsing. Car il y a
toujours, heureusement pour l’humanité, des van Helsing prêts à se sacrifier
pour que cesse l’abominable.
    Mais le vampire peut revêtir des aspects moins extrêmes. Tout
cela est une affaire de sang, il faut le répéter. Et le sang recèle de
redoutables secrets qui ne sont pas forcément accessibles aux scientifiques. C’est
dans cette dimension particulière qu’on pourrait parler du cancer, cette
effroyable destruction de l’être humain par l’intérieur, cette prolifération
anarchique de cellules-vampires qui, échappant au plan divin, saignent littéralement
l’organisme et le vident de toute son énergie. Le microcosme et le macrocosme
sont les deux versants d’une même montagne, et le vampire sournois qui ronge
les entrailles de l’être vaut bien le comte Dracula en ses macabres tournoiements.
Il provoque même davantage de dégâts, car il accomplit patiemment son travail
de sape dans l’ombre, et il a le temps, il a largement le temps… Maladie de
civilisation, a-t-on dit du cancer. Mais n’est-ce pas cette civilisation
elle-même qui est vampirique ? On a l’impression que des entités
mystérieuses se sont infiltrées parmi le genre humain afin de mieux réduire celui-ci
à leur merci, afin de se gorger de sa substance. Et les moyens d’action ne leur
manquent pas, comme en témoignent les divers matraquages publicitaires, patriotiques,
diplomatiques et idéologiques de tout bord, qui ne font qu’affaiblir les
capacités de l’Être au profit du Paraître.
    Car le vampirisme est le triomphe du Paraître. Le vampire n’est
plus un être, puisqu’il lui manque le troisième élément, son âme. Or, le
vampire a vendu son âme au Diable. Et le Diable, en échange, le maintient dans
un semblant de vie, lui infusant par doses régulières les déchéances, les
fanatismes et les euphorisants les plus divers, afin de mieux le contraindre à
perpétuer l’œuvre destructrice qu’il a commencée lors de la Chute. Un vampire n’a
de sens que s’il contribue à l’accroissement de la cohorte infernale des
vampires. En un mot, il doit recruter.
    On est alors en droit de se poser la fameuse question :
qui manipule qui ? On raconte – mais que ne raconte-t-on pas ? – que
la Révolution bolchevique a été voulue, planifiée et gérée par un mystérieux « Ordre
du Dragon Vert ». On raconte que ce même Ordre du Dragon Vert a voulu, planifié
et géré l’instauration du nazisme en Allemagne. On raconte encore que l’Ordre
du Dragon Vert a abandonné Hitler lorsque celui-ci s’est jeté tête baissée sur
la Russie soviétique, son ancienne alliée. Évidemment, on se garde bien de
fournir des preuves. D’ailleurs, en ce genre de choses, il n’y a jamais de
preuves, seulement des présomptions. Et quoi qu’il en soit, l’Ordre du Dragon
Vert évoque fâcheusement le Dracula historique et certaines déviances de la Golden
Dawn sur les territoires germaniques, où la mystérieuse Société Thulé, en
apparence philosophique, a laissé des traces qui sont loin d’être nettes. Il y
a toujours des filiations bizarres entre les sociétés dites secrètes qui se développent
sans cesse autour et à l’intérieur de l’histoire officielle et qui, bien souvent
à notre insu, la manipulent et la font infléchir de façon incompréhensible. La
Ville-Vampire que décrit avec un