L'énigme des vampires
une gageure,
et je m’y suis lancé très tôt, quitte à accepter d’avance les inconvénients qu’une
telle attitude pouvait m’attirer. Fils de parents fonctionnaires, attachés
avant tout à la « sécurité » par peur de l’aventure, je ne pouvais
vraiment pas me résoudre à m’enfermer dans un confort qu’on appelle « bourgeois »
et que je qualifierais plutôt d’imbécile, en le résumant par le seul mot de « lâcheté ».
J’ai donc continué à parcourir la nuit, malgré les nombreux avertissements qui
me furent donnés, « pour mon bien », naturellement, et je n’ai pas
cessé d’errer sur les lisières ambiguës du réel et de l’imaginaire, tout en
sachant que j’y risquais plus que ma vie. Oui, comme le chante avec tant de
conviction le barde Taliesin (que j’aime bien !) : « J’ai erré, j’ai
marché, j’ai dormi dans cent îles, je me suis agité dans cent villes. » Et
surtout, « j’ai joué dans la nuit, je me suis endormi dans l’aurore… »
Dans ces conditions, et en poursuivant ce rythme effréné, je
ne pouvais que rencontrer des vampires. Oh ! bien sûr, je n’avais pas la
sagesse nécessaire pour pouvoir les reconnaître. Si j’avais lu des histoires
terrifiantes, si j’avais vu des films dits d’horreur, si je me nourrissais de « merveilleux »,
en particulier celui des contes et des récits celtiques, tout cela ne
constituait qu’une initiation théorique, intellectuelle, donc en dehors de
toute expérience vécue. Les fées, les enchanteurs, les monstres, les démons, les
femmes qui se changeaient en oiseaux, les hommes qui se transformaient en loups,
les êtres bizarres de la nuit, c’était dans le temps .
Autrement dit, selon le principe de réalité, je n’avais aucune chance de les
reconnaître sous les nouveaux aspects qu’ils pouvaient revêtir afin de se
promener impunément dans le monde industriel – et rationaliste – du milieu de
ce vingtième siècle. Ce sont des histoires ! me répétait-on. Des histoires
comme il n’y en a plus aujourd’hui… De nos jours, la mode évolue selon les
normes en usage, et ce qu’on appelle le « merveilleux » n’échappe
point à cette règle. Les korrigans de Bretagne hantent toujours les landes, par
les nuits sans lune, et l’on pourra certainement déceler les traces de leur
passage entre deux touffes d’ajonc, mais il est douteux qu’on puisse les apercevoir
comme de petits gnomes coiffés d’un bonnet pointu, se faufilant à travers les
anfractuosités de rochers. C’est encore plus vrai s’il s’agit d’un vampire. Peut-on
imaginer une seule seconde Dracula, le véritable comte Dracula, le seul, l’unique,
se présenter au Journal Télévisé de vingt heures et raconter froidement sa méthode
pour boire le sang de ses douces victimes et échapper ainsi au vieillissement
et à la mort ? S’il y a des vampires parmi nous – et rien ne s’oppose
formellement à cette réalité –, on peut être sûr qu’ils se gardent bien de le
dire par la voie des médias. Mais cela ne les empêche pas d’agir dans l’ombre.
Car le vampirisme peut prendre des formes qu’on ne s’attend
pas forcément à rencontrer. Le vampirisme, qu’est-ce que c’est ? C’est une
action qui consiste à pomper littéralement l’énergie
des autres au profit d’un être – ou d’une entité – qui a épuisé son énergie ou
qui n’a pas d’autonomie énergétique. On pourrait alors faire de l’humour, de l’humour
noir même, en affirmant que les États, tels qu’ils sont constitués, sont des
vampires à responsabilité limitée : ils ne vivent et ne survivent qu’en soutirant
l’argent des contribuables et le sang des citoyens lors des grandes
tribulations que le Destin suscite parfois sur eux. À ce compte-là, on pourrait
considérer Adolf Hitler comme l’exemple le plus marquant de tous les vampires
du XX e siècle. Les bains de sang dont il
a été l’initiateur conscient et organisé ne sont-ils pas comparables aux
saignées pratiquées par le vampire classique sur sa victime consentante ? Car
la victime est toujours consentante. On oublie un peu trop qu’Hitler a été élu
régulièrement et démocratiquement à la tête de cette Allemagne meurtrie qui est
devenue ensuite le Troisième Reich. Les camps de concentration, les chambres à
gaz et les fours crématoires, que des inconscients s’ingénient aujourd’hui à
mettre en doute, sont, avec les
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