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L'énigme des vampires

L'énigme des vampires

Titel: L'énigme des vampires Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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que je devais suivre. Aux
carrefours, en ces endroits marqués de présences invisibles, je rencontrais des
chats et je m’attardais à bavarder avec eux. Les chats m’ont toujours fasciné
parce que leurs yeux sont, comme le dit un dicton irlandais, une porte ouverte
sur l’Autre Monde. Et ces chats me décrivaient les plaines merveilleuses, les
vergers embaumés et les palais de cristal des îles lointaines, là où les fruits
sont mûrs toute l’année et où la tristesse, la maladie et la mort sont
inconnues. Aujourd’hui encore, chaque fois que je me pose une question
insoluble, je me tourne vers mes chats : ils sont là, près de moi, leurs
yeux de braise me brûlant de toute leur profondeur. Les chats ont le don de
double vue. Ils savent ce que nous ne savons pas et ils reçoivent pour nous les
pulsions magnétiques qu’on nous envoie parfois. Ils nous protègent des
cauchemars et des envoûtements. Toujours présents dans l’ombre, silencieux, prêts
à bondir au moindre signe venu d’ailleurs, les chats sont les intermédiaires
privilégiés entre l’homme et son destin. Et, à ces carrefours de nuit où je m’attardais,
je suivais le regard des chats vers le ciel où tournoyaient les grandes
chauves-souris qui venaient de quitter leurs greniers pour accomplir le rituel
qu’elles connaissaient depuis des temps immémoriaux. Alors s’imposait à moi la
silhouette de Lilith, la forme désirée d’une femme qui me guettait derrière un
rocher, derrière un arbre. Elle ne me menaçait pas. Elle m’invitait à la suivre
jusqu’à sa caverne.
    J’étais parfaitement conscient des dangers auxquels je m’exposais
si j’acceptais son invitation. Je ne possédais pas la pierre d’invisibilité qui
m’eût permis d’échapper au dragon qui, j’en suis sûr, se tenait à l’affût
derrière un gros pilier de pierre, attendant l’instant propice pour se
précipiter sur moi et m’anéantir de son haleine embrasée. Mais la silhouette de
Lilith m’attirait. Encore une fois, je ne peux que redire les paroles de
Chateaubriand : « Comme Ismen sur les remparts de Jérusalem, j’appelais
la foudre ; j’espérais qu’elle m’apporterait Armide. » Ainsi l’ombre
de l’enchanteresse s’étendait sur moi : « Je l’ai souvent vue, un
bras sur sa tête, rêver immobile et inanimée ; retirée vers son cœur, sa
vie cessait de paraître au-dehors ; son sein même ne se soulevait plus. Par
son attitude, sa mélancolie, sa vénusté, elle ressemblait à un génie funèbre. »
Il s’agit ici de Lucile, la sœur de Chateaubriand. Mais c’était aussi ma sœur
irréelle que je voyais en elle. « De la concentration de l’âme naissaient
chez ma sœur des effets d’esprit extraordinaires : endormie, elle avait
des songes prophétiques ; éveillée, elle semblait lire dans l’avenir… Dans
les bruyères de la Calédonie, Lucile eût été une femme céleste de Walter Scott,
douée de la seconde vue ; dans les bruyères armoricaines, elle n’était qu’une
solitaire avantagée de beauté, de génie et de malheur. » Était-elle
réellement une non-morte  ?
    Il m’a bien fallu rencontrer ce personnage vampirique, de
nombreuses fois, sous des noms différents, sous des couleurs qui n’étaient
jamais les mêmes, avec des gestes qui n’étaient point identiques, avec une voix
qui tremblait dans le vent. Mais le vers de Nerval se répétait sans cesse dans
ma tête : « La treizième revient, c’est encore la première. » Et
c’était toujours cette Morgane, surgie l’espace d’un instant de l’île d’Avalon
ou du Val sans Retour, cette Kundry encore parfumée des fleurs ambiguës du
jardin magique de Klingsor, cette Lilith au frôlement inquiétant quand elle
surgit brusquement des nécropoles en ruines pour assouvir sa soif de sang rouge.
Et j’offrais mon cou à cette vampire qui n’attendait que cette soumission pour
me mordre et s’abreuver de ma vie. Je comprends parfaitement la délicieuse
brûlure qu’on peut éprouver à ce moment privilégié et néanmoins terrifiant. Et
je sentais mon sang qui coulait lentement dans la bouche de la femme.
    Car le sang, c’est « un suc tout particulier ». Je
m’en suis aperçu un jour, alors que j’étais en train de faucher de l’herbe dans
mon champ. À cause d’un geste maladroit, ma faucille a dévié sur mon pouce,
tranchant d’un coup une petite partie de celui-ci, non jusqu’à l’os
heureusement, mais en

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