L'énigme des vampires

plante son
couteau dans le tableau. Mais, c’est lui-même qu’on retrouve, quelques heures
plus tard, affalé sur le sol, le couteau planté dans la tête, mort, le visage
ravagé, tandis que le portrait, intact, présente toujours le même visage de
beauté et de pureté.
    Il s’agit bien entendu d’une fable, mais elle est
génialement soutenue par une atmosphère lourde et pénible, dans un cadre
victorien comme celui du Dracula de Stoker. Mais
si, en dépit de scènes terrifiantes, le roman de Stoker demeure un chant d’espoir
baigné de lumière, le récit d’Oscar Wilde est foncièrement désespéré : il
n’y a pas de salut, pas de rachat, même si on le désire. L’attitude est
augustinienne, sinon calviniste. Ce qui met remarquablement en valeur le thème
du vampire, car l’action du vampire est ici présentée comme un non-retour. Enlisé
dans une vie extra-naturelle, le vampire ne peut plus s’échapper, même s’il en
manifeste la volonté. C’est ainsi que Dracula, s’il n’avait pas été exorcisé – et sauvé – par van Helsing et ses
compagnons, aurait poursuivi pour l’éternité sa besogne d’anti-création, de
création noire et satanique. Mais le portrait de Dorian Gray, tout comme
Dracula, n’a pas fini de hanter les imaginations…
    En France, c’est Charles Nodier, amateur de fantastique et
initié à diverses « sociétés » initiatiques, qui répandit le premier
la « mode » des vampires. Ce sont encore des monstres très romantiques,
tout droit surgis de la tradition populaire à laquelle avait déjà puisé Charles
Perrault dans ses contes, notamment dans le Petit
Poucet , quand il décrit les filles de l’Ogre : « Ces petites
ogresses avaient toutes le teint fort beau, parce qu’elles mangeaient de la
chair fraîche, comme leur père ; mais elles avaient de petits yeux gris et
tout ronds, le nez crochu, et une fort grande bouche, avec de longues dents
fort aiguës et fort éloignées l’une de l’autre. Elles n’étaient pas encore fort
méchantes ; mais elles promettaient beaucoup, car elles mordaient déjà les
petits enfants pour en sucer le sang. » En somme, c’étaient des brucolaques au sens étymologique du terme. Et ce
sont des êtres analogues, mais plus flous, plus imprécis, que met en scène
Nodier dans son mélodrame en trois actes, le Vampire ,
qui date de 1820, époque où florissait le théâtre mélodramatique populaire, généralement
des adaptations des fameux « romans gothiques » anglais.
    Le décor compte beaucoup pour Nodier, comme il comptera chez
tous les Romantiques, puisqu’il n’est qu’une projection visuelle de ce qui se
passe à l’intérieur des êtres. Et c’est dans une grotte que se manifestera le
vampire à la douce, pure et vierge Malvina. Voici ce qu’elle raconte à sa
confidente, Brigitte : « Hier soir, égarée dans la forêt, mes pas
incertains me conduisirent vers cette grotte fameuse, à laquelle le vulgaire attache,
dit-on, des traditions mystérieuses. Le tonnerre grondait… Je m’endors au bruit
du vent qui sifflait dans ces cavernes, et de la pluie qui frappait sur les
feuilles de la forêt. Tout à coup, il me parut que la grotte s’était éclairée… J’admirais
ces colonnes multipliées, ces formes irrégulières et gigantesques, lorsqu’en
laissant retomber mes regards autour de moi, je vis les pierres qui composent
le sol se soulever comme d’elles-mêmes… Des fantômes livides sortaient de ces
tombes entrouvertes. L’un d’eux se dirigea vers moi : un frisson me saisit,
mais une puissance invincible me tenait immobile, et mes yeux mêmes ne
pouvaient se détourner de la terrible apparition. Je l’envisageai… ô surprise !
Je vis les traits d’un jeune homme… Plus il s’approchait de moi, plus la
crainte que j’avais éprouvée diminuait ; mais lorsqu’il fut tout près, lorsque
son visage sembla toucher le mien, ô terreur ! ses yeux devenus caves
brillèrent d’un éclat extraordinaire ; sa figure se décomposa, tous ses
traits se renversèrent avec des convulsions horribles… je me crus destinée à
être la proie d’un monstre dévorant !… » Heureusement, la jeune fille
pure et sans tache sera épargnée grâce à l’intervention d’une « puissance
inconnue », qui se révélera être un vieillard exorciseur, et le fantôme « rentre
dans la terre en poussant des cris plaintifs ». Il est certain qu’influencé
par Byron, Nodier a paré