L'énigme des vampires
savoir où il tient enfermée la Stilla. Il parvient
enfin dans une pièce où il aperçoit le baron assis dans un fauteuil : « Il
n’avait plus qu’un pas à faire pour saisir le baron de Gortz, et, le sang aux
yeux, la tête perdue, il levait la main… Soudain la Stilla apparut. Franz
laissa tomber son couteau sur le tapis. La Stilla était debout sur l’estrade, en
pleine lumière, sa chevelure dénouée, ses bras tendus, admirablement belle dans
son costume blanc… telle qu’elle s’était montrée sur le bastion du burg. Ses
yeux, fixés sur le jeune comte, le pénétraient jusqu’au fond de l’âme… Il était
impossible que Frantz ne fût pas vu d’elle, et, pourtant, la Stilla ne faisait
pas un geste pour l’appeler… Elle n’entrouvrait pas les lèvres pour lui parler…
Hélas ! elle était folle ! Franz allait s’élancer sur l’estrade pour
la saisir entre ses bras, pour l’entraîner dehors… La Stilla venait de
commencer à chanter. Sans quitter son fauteuil, le baron de Gortz s’était
penché vers elle. Au paroxysme de l’extase, le dilettante respirait cette voix
comme un parfum, il la buvait comme une liqueur
divine . Tel il était autrefois aux représentations des théâtres d’Italie,
tel il était alors au milieu de cette salle dans une solitude infinie, au
sommet de ce donjon qui dominait la campagne transylvaine ! »
C’en est trop pour le comte de Telek. Il se retrouve face au
baron. Une furieuse bagarre s’ensuit. Le baron s’empare du couteau de Franz,
« et il le dirige vers la Stilla immobile… Franz se précipite sur lui, afin
de détourner le coup qui menace la malheureuse folle… Il est trop tard… le
couteau la frappe au cœur. Soudain, le bruit d’une glace qui se brise se fait
entendre, et, avec les mille éclats de verre, dispersés à travers la salle, disparaît
la Stilla… Franz est demeuré inerte… Il ne comprend plus… Est-ce qu’il est
devenu fou, lui aussi ?… » En tout cas, voulant s’élancer sur le
baron, Franz tombe, sans connaissance. À ce moment, Rotzko fait irruption et
voit le baron se saisir d’une boîte et se précipiter hors de la salle. Rotzko
le poursuit et tire une balle de revolver sur lui. La balle n’atteint pas le
baron, mais fracasse la boîte qu’il portait. Le baron de Gortz se met à courir
le long de la terrasse en criant : « Sa voix… sa voix… Ils m’ont
brisé sa voix !… Qu’ils soient maudits ! » Il disparaît alors
derrière une porte. « Presque aussitôt, une formidable explosion fit
trembler tout le massif du Plesa. Des gerbes de flammes s’élevèrent jusqu’aux
nuages, et une avalanche de pierres retomba sur la route du Vulkan. Des
bastions, de la courtine, du donjon, de la chapelle du château des Carpates, il
ne restait plus qu’une masse de ruines fumantes à la surface du plateau d’Orgale. »
Mais, comme dans tous les romans de Jules Verne, la conclusion
est optimiste. Les méchants sont punis et les bons récompensés. Le baron de
Gortz est mort dans l’explosion, mais le comte de Telek, après quelques jours de
folie, retrouve ses esprits. Le brave Rotzko, le forestier Nic Deck et les
villageois sont sains et saufs et délivrés de leur peur. Car Orfanik est vivant,
et il a pu donner l’explication des phénomènes surnaturels qui avaient tant
impressionné les protagonistes de ce drame.
Orfanik en effet, même s’il est quelque peu mystérieux, même
si Jules Verne en fait un personnage diabolique ,
est un inventeur de génie, chimiste et physicien à l’avant-garde des
technologies les plus hardies de cette époque. Lorsque la Stilla avait pris la
décision de renoncer au théâtre, Orfanik avait proposé au baron de Gortz de
recueillir la voix de la cantatrice sur des rouleaux de cire, autrement dit de
procéder à des enregistrements phonographiques. De plus, il avait, à partir de
portraits photographiques de la Stilla, réussi à assurer sur un miroir des
projections animées du type des premières expériences de « cinématographe ».
C’est pourquoi l’image de la Stilla pouvait apparaître sur les remparts du
château ou dans tout endroit vers lequel rayonnait l’appareil inventé par
Orfanik ; c’est pourquoi on pouvait entendre la Stilla chanter comme si
elle était vivante. Quant aux autres prodiges, ils étaient fort simples. Les
voix entendues dans l’auberge de Werst étaient le résultat d’un système de
phonie reliant directement le
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