L'énigme des vampires
non-morte ,
un vampire qui se maintient dans son étrange existence par le sang frais qu’elle
ingurgite en dévorant le factionnaire. Et toutes les nuits, il lui faut « de
la chair fraîche ». « Cela dura quelque temps ; des régiments
entiers désertaient et le roi ne trouvait plus de soldats. Il était obligé de
promettre de grosses sommes à des gens de bonne volonté pour monter la faction
et des fortunes à ceux qui lèveraient le sort. »
Bien sûr, un jeune homme se présente. Il est très pauvre. Il
n’a rien à perdre, mais il est très courageux, comme il se doit en pareil cas. Et,
dans la version lorraine, il rencontre « une belle dame qui était la
Sainte Vierge, et qui lui prodigue ses conseils pour qu’il puisse réussir dans
son entreprise périlleuse [70] . » La nuit, à
minuit moins le quart, la princesse sort du tombeau, mais le jeune homme est
juché sur la chaire et elle ne le voit pas tout de suite. Ayant ainsi perdu du
temps, « minuit sonnait quand elle mit le pied sur la première marche de
la chaire. Elle fut obligée de rentrer sous terre, en poussant des cris
horribles qui firent trembler la cathédrale et les maisons d’alentour ».
La seconde nuit, toujours sur les conseils de la « belle
dame », le jeune homme monte au sommet d’une grande échelle contre le
grand crucifix de la cathédrale, avec un asperges (un « goupillon ») et un bénitier. Quand la princesse le voit ainsi, elle
l’appelle en lui assurant qu’elle ne lui fera pas de mal. Il lui répond qu’il
descendra lorsqu’elle aura récité le « Notre Père ». La princesse
avoue qu’elle ne le peut pas. Alors le jeune homme lui fait répéter la prière
phrase par phrase, « et à chaque mot, un morceau du linceul tombait. Pendant
tout ce temps, il jetait de l’eau bénite. Il lui fit dire le Je vous salue, Marie . Parvenu au dernier signe de
croix, elle avait encore plus de mal. Jean (c’est le nom du jeune homme) jetait
toujours son eau bénite. Il n’en eut plus et finit par jeter son asperges et son bénitier. Enfin, elle arriva à faire
son Nom du Père et le dernier morceau de
linceul tomba. Il était temps : minuit sonnait. Le tombeau se referma avec
fracas sans engloutir la belle jeune fille ».
Voilà donc une fin heureuse, ce qui est plutôt rare dans les
histoires vampiriques. L’exorcisme joue pleinement, et grâce au courage du
jeune homme, grâce aussi aux objets sacrés qu’il porte, ainsi qu’aux prières qu’il
prononce et fait prononcer, le sortilège s’évanouit comme si rien ne s’était
passé. L’état vampirique ne serait-il pas toujours définitif ? Certes, dans
la formulation classique, le vampire sur lequel on agit en lui enfonçant un
pieu dans le cœur et en lui coupant la tête, réintègre le cycle normal de l’existence
dans un au-delà de paix et de sérénité. Mais, ici, il s’agit d’un retour à l’état
primitif, par un rituel de purification qui annihile l’action diabolique, cette
caricature de création qui est la seule permise à Satan, et qui n’est après
tout qu’une simple illusion. Cette illusion dissipée, la réalité reprend tous
ses droits.
La source de ces deux contes lorrain et breton paraît remonter
à un schéma initiatique très ancien que l’on reconnaît dans un récit arthurien
du XIII e siècle, l’ Âtre périlleux , dans lequel le héros est le
chevalier Gauvain, neveu du roi Arthur, personnage qui a eu, dans la légende
primitive et avant l’introduction de Lancelot du Lac dans le cycle, une
importance considérable en tant que « leveur » de sortilèges, c’est-à-dire
d’exorciste. Dans ce récit [71] , Gauvain est engagé dans
une mystérieuse aventure au cours de laquelle il doit passer la nuit dans un
cimetière (un âtre , en vieux français) quelque
peu maudit. « Monseigneur Gauvain avait pris place sur une tombe de marbre
gris, entre le mur et la grille… À peine venait-il de s’y asseoir qu’il sentit
la pierre bouger sous lui et se lever : il fut très étonné de n’apercevoir
personne aux alentours… Gauvain s’en alla à la recherche d’un autre siège, plus
hospitalier. Il n’eut pas le temps de faire quatre pas, que le tombeau se
trouvait complètement ouvert : il y vit, tout entière offerte aux regards,
une demoiselle étendue. La voici qui se met sur son séant, sous les yeux de
monseigneur Gauvain. Celui-ci lève la main pour se signer ; pourtant, lui
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