L'énigme des vampires
il entendit des cris effrayants. Il se
leva en hâte… Il vit une des sorcières atteindre un veilleur qui se mit à jeter
des hauts cris. Peredur chargea la sorcière et lui donna un tel coup d’épée sur
la tête qu’il fendit en deux le heaume avec sa cervelière comme un simple plat. »
La sorcière demande grâce et déclare à Peredur : « Je te donnerai un
cheval et une armure. Tu resteras avec moi pour apprendre la chevalerie et le
maniement des armes. » Peredur accepte, à condition que les sorcières ne
fassent jamais de mal à ce pays, et « il alla, en compagnie de la sorcière,
à la cour des sorcières. Il y resta trois semaines de suite [78] ».
Comme Cûchulainn, Peredur, tel un vampire, obtient son initiation guerrière, magique
et sexuelle auprès de femmes-vampires. Et celles-ci joueront d’ailleurs un rôle
important dans la conclusion de l’histoire.
Ces différents récits mettent en lumière d’une part la collusion
plus ou moins inconsciente qui se crée entre le vampire et sa soi-disant
victime, et d’autre part le rôle de l’élément féminin dans les manifestations
supposées vampiriques. On en découvrira d’autres preuves dans un récit
anglo-normand de la fin du XIII e siècle à
propos des grands Géants, dont la tradition insulaire prétendait qu’ils avaient
été les premiers habitants de la Grande-Bretagne [79] .
Cette tradition semble avoir été acceptée pendant tout le Moyen Âge, et
Geoffroy de Monmouth, dans son Historia Regum
Britanniae , datant de 1135, y fait clairement référence, tout comme l’auteur
anonyme du XVI e siècle qui écrivit – on a
longtemps cru que c’était Rabelais – un étrange récit sur la « fabrication »
de Grandgousier et de Gargamelle, parents de Gargantua, par l’enchanteur Merlin
en personne.
Dans ce récit proprement mythologique, on nous raconte qu’en
l’an 3970 de la création du monde, il y avait un roi de Grèce qui avait trente
filles. « Quand elles eurent toutes atteint l’âge d’être mariées, elles
furent promises et données à de grands rois de noble origine. » Jusque-là,
tout semble aller bien, encore qu’on puisse discuter de la simultanéité des
mariages de trente filles affirmées comme étant de la même mère. Mais, l’aînée
des filles, une certaine Albine, qui se sent une vocation de féministe à la
mode de 1968, entraîne ses sœurs dans une dialectique tout à fait conforme à
celle des plus convaincues des militantes des droits de la femme. « Très
peu de temps après leur mariage, elles se réunirent pour délibérer et prirent
en secret une décision : elles décidèrent qu’aucune d’entre elles ne
serait assez sotte pour souffrir l’autorité d’autrui, l’autorité d’un seigneur
ou d’un voisin, celle d’un frère ou d’un cousin, et en particulier celle de
leur époux. » Elles vont même plus loin : « Chacune – elles l’affirmèrent
et jurèrent par serment – le même jour, tuerait de sa propre main son mari, quand
elle serait couchée entre ses bras, au moment même où il s’imaginerait
atteindre la jouissance. Elles fixèrent un jour précis pour exécuter leur
projet. »
Mais ce charmant programme n’est pas mis à exécution par la
faute de la plus jeune des sœurs, laquelle avait le tort d’aimer son mari. Elle
lui dévoile le projet. La réaction du père est sans appel : toutes ses
filles, sauf la plus jeune, seront condamnées à l’exil. « On s’empara d’elles,
on les mit dans un bateau robuste et grand, sans gouvernail et sans nourriture. »
C’est ainsi qu’après une navigation très pénible, elles abordent dans une île
déserte, la future Grande-Bretagne. Elles s’y installent et se nourrissent tant
bien que mal de fruits et d’herbes crues.
Après avoir repris un peu de forces, elles explorent la
terre inconnue où le hasard les a fait aborder. On se souviendra d’ailleurs que
de nombreux récits d’origine celtique font état de ce genre de navigation à l’aveuglette,
sans pilote, sans voiles ou sans rames. Généralement, les navigateurs
parviennent en une île terrifiante ou merveilleuse, dans l’Autre Monde, et
lorsque la tradition celtique sera christianisée, ces navigations païennes
deviendront vite ces fameuses « pérégrinations pour l’amour de Dieu »
que pratiquèrent les missionnaires irlandais pour aller ré-évangéliser le
continent, tels saint Malo, saint Brandan ou saint Colomban.
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