L'énigme des vampires
semble-t-il,
de sa vie entière, dès qu’il a su reconnaître la beauté, il n’a vu une aussi
superbe créature. »
L’atmosphère est typiquement vampirique. On s’attendrait
même à ce que la jeune demoiselle, aguichante et les yeux animés de désirs
sataniques, se précipitât dans les bras de Gauvain pour mieux le mordre au cou
et lui sucer le sang. Il n’en est rien, cependant : la jeune fille lui
explique qu’à la suite d’une affaire de famille et d’un sortilège lancé par sa
marâtre, elle a rencontré « un diable à figure d’homme » qui, lui
promettant de la guérir, l’a conduite dans ce cimetière d’où elle ne peut
sortir : « Ma vie a été très malheureuse, car il prenait de moi son
plaisir chaque nuit, et chaque jour je gisais seule dans ce tombeau. »
Évidemment, Gauvain, pour libérer la jeune fille, sera obligé de livrer un rude
combat avec le Diable (ou le Vampire…). Plusieurs fois, il est sur le point de
succomber, et il ne reprend des forces que parce que la jeune fille lui parle
de la Croix du Sauveur. Il finit cependant par avoir raison du démon et lui
coupe la tête. Ainsi est rétabli l’ordre cosmique. Le pays, comme la jeune
fille, est délivré de la terrible malédiction qui pesait sur lui. On retrouve
tous ces éléments dans le roman de Bram Stoker : la mort rituelle de
Dracula libère définitivement Mina Harker, pourtant souillée par l’étreinte du
vampire, de la même façon que la jeune fille de l’Âtre périlleux est rendue à
la lumière, et le monde respire enfin, du moins provisoirement, grâce à l’anéantissement
du monstre qui prétend faire de la vie une non-mort .
Cela démontre d’ailleurs clairement que l’Abraham van Helsing
de Bram Stoker a des lettres de noblesse : il appartient à une lignée
initiatique, celle des « héros de lumière », dits encore « héros
de civilisation », ces justiciers qui combattent les forces de l’ombre, mainteneurs
de l’Ordre divin dans un monde constamment soumis aux turbulences suscitées par
les Géants, les Titans révoltés, les légions infernales et autres éléments rescapés
du Chaos primitif qu’il appartient à l’Homme, créé à l’image de Dieu, d’éliminer
peu à peu de l’univers pour instaurer l’harmonie éternelle voulue par Dieu à l’heure
primordiale et essentielle de ce que, faute de mieux, les scientifiques contemporains
appellent le Big Bang , l’explosion initiale
qui contient tout y compris la pauvre vie des
humains passés, présents et à venir. Mais Dieu délègue ses pouvoirs aux hommes.
Le malheur, c’est que peu d’hommes se sentent investis de la mission qui leur
est confiée. Les êtres passifs sont en plus grand nombre que les Gauvain, Lancelot
du Lac, Mithra, Cûchulainn et autres van Helsing, quelle que soit leur époque, quelle
que soit leur fonction, quelle que soit leur identité, l’essentiel étant qu’ils
possèdent au fond d’eux-mêmes ce que la tradition irlandaise appelle la « Lumière
du Héros ».
De toute façon, dans les nombreux récits où le vampire apparaît
sous ses différentes métamorphoses, il est défini comme un complice ou une
victime de l’Ennemi du genre humain, autrement dit le Diable de la tradition
chrétienne. Mais il arrive parfois que ce soit le Diable lui-même qui joue le
rôle du Vampire. Dans l’ Âtre périlleux , c’était
déjà un diable. Dans un conte, très répandu
dans toute l’Europe, et connu sous le titre des Trois
Poils du Diable , c’est Satan l’unique qui se nourrit du sang de ses
victimes. L’une des versions du conte, recueillie en Champagne [72] ,
a effacé à peu près la notion de vampirisme : la victime est seulement
obligée d’être la compagne du Diable, mais elle n’est pas elle-même « vampirisée ».
Dans la version bretonne, au contraire, un détail très précis est resté, qui
permet de ranger ce récit dans la catégorie du mythe vampirique.
Le héros est un jeune paysan du nom de Gris-Gris en butte à
la jalousie d’un prince qui se nomme lui aussi Gris-Gris. Le prince, pour s’en
débarrasser, envoie le jeune paysan lui chercher « trois poils de la barbe
du Diable ». Gris-Gris se lance donc dans une expédition qui ressemble
fort à tous les voyages dans l’Autre Monde qui caractérisent la mythologie
celtique. « Une sorcière recommanda au jeune Gris-Gris de se faire acheter
une grande voiture à clochettes, sept chevaux, un grand
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