L'énigme des vampires
demandant
si les fils des Élohim sont des êtres célestes, des tribus de haute culture ou
une race de géants.
Le problème reste entier, en dépit des exégèses les plus embarrassées
et les plus tortueuses. Mais l’auteur du texte anglo-normand, lui, a tranché
définitivement. Les fils des Élohim (ou de Dieu !) sont des démons incubes , tout en sachant fort bien que le mot
« démon » ne signifie pas autre chose qu’ entité
spirituelle , sens qu’a le grec daimôn , sans
aucune nuance bénéfique ou maléfique. Les voilà donc, ces fameux incubes qui hanteront tout le Moyen Âge, non
seulement les femmes à la sensualité un peu chaude, mais les graves savants de
tous bords et les plus sérieux des théologiens. Il faut avouer que ces « incubes »
étaient parfois bien utiles pour justifier certaines naissances illégitimes ou
inattendues. On s’en est abondamment servi pour défendre des causes
indéfendables. Après tout, l’enchanteur Merlin n’est-il pas le fils d’une
sainte femme et d’un démon incube qui a abusé la candeur de celle-ci ? Mais
c’est aussi grâce à cette conception merveilleuse que Merlin doit ses pouvoirs
prophétiques et magiques. Alors, les incubes sont peut-être nécessaires dans un
monde qui manque d’imagination et de puissance de création.
Cela dit, en faisant l’impasse sur le texte biblique, le
récit anglo-normand est singulièrement révélateur d’une antique tradition qui
concerne directement le vampirisme. Qui sont en effet ces mystérieux incubes, sinon
des « entités » analogues aux « non-morts » et qui ont la
possibilité, pendant la nuit, de se matérialiser et de venir coucher avec des femmes, c’est-à-dire s’imprégner de
leur énergie lors de l’orgasme ? Cet aspect sexuel n’est pas niable dans
les aventures prêtées aux vampires, celles du comte Dracula en particulier :
Dracula fait jouir les femmes dont il suce le
sang ; il n’est que de relire les louches extases de Lucy Westenra ou de
Mina Harker pour s’en rendre compte, même si ces femmes ont, après l’acte , une horreur sans nom de ce qui vient
de se passer. Les Incubes, comme les Vampires, ont besoin de chair fraîche pour
se matérialiser. Et qui dit chair fraîche dit « énergie », celle-ci
étant symbolisée plus particulièrement par le sang qui coule des veines des
femmes, comme un flot de jouissance incontrôlé.
Quant aux filles du roi de Grèce exilées sur cette île
déserte qui deviendra la Grande-Bretagne, ne sont-elles pas elles-mêmes des
vampires avant de s’établir sur cette terre ? N’ont-elles pas voulu tuer
leurs époux, sous prétexte de ne pas subir leur pouvoir marital ? On peut
traduire cela par une sorte de voracité vampirique conforme au mythe des
Amazones : le refus du mâle est nécessairement ambivalent puisqu’il se
double d’une possession totale, d’une absorption comparable au cas de la mante
religieuse. Mais, d’une certaine façon, vampires actifs avant leur exil, ces nouvelles
amazones deviennent à leur tour victimes de vampires plus puissants qu’elles, en
l’occurrence des Incubes. Et ce sont des victimes consentantes puisque ce sont
elles qui désirent l’étreinte du mâle. Cela permet d’ailleurs de mieux mesurer
combien le texte de la Genèse est rempli de
non-dit. Car, tout compte fait, alors qu’on interprète généralement cet épisode
comme une agression des « Fils des Élohim » contre les « Filles
des Hommes », ne faudrait-il pas supposer que les « Filles des Hommes »
aient voulu s’emparer de la puissance des « Fils des Élohim » et
absorber ainsi cette énergie divine qui leur manquait pour accomplir leur plan,
à savoir peupler la terre d’êtres exceptionnels, les Géants de la légende ?
C’est ce qui ressort du texte anglo-normand. Les filles
exilées dans cette île inoccupée s’arrogent un pouvoir de création auquel elles
n’ont aucun droit, se livrent donc à une création parallèle, caricaturale, de
type satanique. « Quand ils eurent atteint une certaine maturité, les
enfants, par un forfait contre nature, firent à leur propre mère des fils et
des filles qui étaient de grande taille. Les sœurs eurent de leurs frères des
fils et des filles qui grandirent beaucoup. Leur taille était très élevée
et ils étaient très forts, étonnamment grands de corps et de stature… Cette
engeance diabolique se multiplia largement. » Et ce n’est qu’à
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