L'énigme des vampires
au cou une clochette magique
ayant appartenu à saint Koledok, et cette clochette se met à tinter. Bien loin
de là, la jeune Bellah l’entend et comprend que son fiancé est en danger. Elle
retrouve la trace de Houarn et, déguisée en garçon, va trouver la Groac’h . Celle-ci tombe réellement amoureuse du faux
jeune homme, ce qui permet ainsi à Bellah d’enfermer la fée dans son propre
filet et de la jeter dans un puits dont elle ferme l’orifice avec le signe de
la croix. Immédiatement tous les sortilèges cessent. Les poissons redeviennent
des hommes, Houarn est sauvé, assez piteux mais plein de reconnaissance envers
celle qui l’aimait. La femme-vampire est mise hors d’état de nuire par l’exorcisme
accompli par Bellah, celle-ci puissamment motivée par un amour pur et sincère. On
voit que le thème de Circé peut se transformer en fable morale dans un milieu
chrétien où l’édification des fidèles, c’est le cas très particulièrement en Bretagne
armoricaine, est une chose très importante.
Cela dit, il faut reconnaître que ce conte breton, s’il est
d’expression populaire, se ressent des influences « cléricales », c’est-à-dire
intellectuelles. C’est une adaptation de l’histoire de Circé, avec des
souvenirs très nets de la légende d’Armide, l’enchanteresse héroïne de la
célèbre Jérusalem délivrée , épopée savante de
Torquato Tasso. Armide attire dans son palais merveilleux les chevaliers
aveuglés par sa beauté et qui se laissent aller à leurs fantasmes dans les
jardins enchantés qui entourent son domaine. Il en est de même dans la version
allemande du Graal, celle de Wolfram von Eschenbach, où les jardins de l’enchanteur
Klingsor, encore une autre incarnation du vampire, recèlent d’étranges et
louches délices. Richard Wagner en tirera de belles scènes dans son Parsifal , et l’on reconnaîtra sans peine dans les
sulfureuses « Filles-Fleurs » que rencontre le jeune héros des
personnages circéens , autrement dit des mantes
religieuses aguichantes autant que pernicieuses.
Mais la Mante Religieuse ne se présente pas toujours sous
les traits d’une déesse, d’une princesse ou d’une fée. Elle peut apparaître
aussi comme une simple sorcière appartenant au peuple ou à la bonne bourgeoisie.
Dans son roman l’Âne d’or , l’auteur latin
Apulée, qui utilise abondamment les traditions hellénistiques les plus
populaires, la figure dans le personnage de Pamphile, épouse d’un riche
bourgeois chez qui, en Thessalie, le héros, Lucius, a pris pension. Voici
comment celui-ci est averti de la vraie personnalité de Pamphile : « On
la considère comme une sorcière de premier ordre et passée maîtresse en toute
sorte d’incantations sépulcrales. Elle sait, en soufflant sur des baguettes, des
cailloux et des petits objets de cette sorte, plonger toute la lumière de notre
univers et de nos astres dans le fond du Tartare et l’antique Chaos. Dès qu’elle
aperçoit un jeune homme de quelque beauté, conquise par son charme, elle jette
aussitôt sur lui ses yeux et ses pensées. Elle se répand en douceur, elle cherche
à s’emparer de son esprit, elle tente de l’enchaîner par les liens éternels d’un
amour éperdu. Mais ceux qui ne sont pas complaisants et déméritent à ses yeux
en se refusant, en un clin d’œil elle les transforme en pierres, en moutons, en
toute sorte d’animaux, et même, il en est certains qu’elle va jusqu’à supprimer
purement et simplement [82] . » Certes, généralement,
on donne à ce comportement féminin le nom de « nymphomanie », mais il
est bien certain qu’il y a autre chose : cette Pamphile est davantage une
mante religieuse, une femme-vampire qui a besoin de sucer
les os jusqu’à la moelle des jeunes gens qu’elle rencontre pour
maintenir son propre équilibre énergétique. Et la référence à la sorcellerie, dans
un milieu païen, indique suffisamment le caractère démoniaque de cette femme. Le vampire est loin d’être une invention des Chrétiens
orthodoxes.
Mais on comprendra que c’est de cette image de « dévoreuse »
que provient la Sorcière du Moyen Âge et du temps des bûchers de l’Inquisition,
incarnation fantasmatique d’une réalité de conscience, mais complètement
dégradée, dévalorisée et assujettie définitivement à la notion si vague, mais
si terrifiante, du « péché » chrétien. Circé, la « tournoyante »,
est devenue la laide
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