L'énigme des vampires
lui accordera ce qu’elle demande à condition qu’elle
veuille bien lui faire don de sa virginité. La jeune fille accepte :
« Le Diable coucha avec elle exactement comme le père de Merlin avec la
mère de Merlin. Et elle prit en cet acte coupable un tel plaisir et cette
fréquentation lui plut tellement qu’elle en oublia complètement son frère. Elle
se mit à aimer l’Ennemi aussi merveilleusement qu’une femme pourrait aimer un
homme et à haïr son frère de la haine qu’on a pour son pire ennemi mortel. »
On retrouve ici le fameux Incube. Mais encore une fois, l’acte
de vampirisme est souhaité par la victime, laquelle devient l’esclave du Diable,
comme Lucy Westenra et Mina Harker le deviennent de Dracula. De plus, la jeune
fille se trouve enceinte. Sur les conseils du Diable, elle accuse son frère de
l’avoir violée. Le frère est condamné à être livré à des chiens affamés qui le
dévoreront. Mais avant d’aller au supplice, le frère s’adresse à sa sœur et aux
assistants : « Ma sœur, tu sais combien tu me fais mourir injustement…
Je ne m’en étonne pas, car je sais que tu n’agis pas
seule : tu agis sous l’influence du Diable. Mais il s’en vengera de
bien étrange façon… Quand naîtra ton petit, on verra qu’il n’est manifestement
pas de moi. Jamais d’un homme ne naquit un enfant aussi merveilleux que le tien :
le Diable l’a engendré, le Diable l’a conçu, car tu
es un vrai diable et un diable sera ta descendance, la plus merveilleuse
bête jamais vue. Puisque tu as donné ma chair aux chiens, cette bête aura des
chiens dans le ventre qui pousseront des glapissements pour rappeler celles-ci
auxquelles tu me fais livrer. Et cette bête-là, elle anéantira bien des hommes
et tuera bien des chevaliers avant que le très bon chevalier, celui qui s’appellera
Galaad comme moi, le poursuive. C’est lui qui tuera la honteuse portée qui va
sortir de son ventre [84] . » Tout se passe
ainsi. Un peu plus tard, la fille du roi accouche d’une bête monstrueuse, la
Bête Glatissante, si effrayante que toutes les femmes qui assistaient à l’enfantement
meurent de peur. Et « la Bête s’enfuit sans que personne au château ne
puisse la retenir. On entendait ses glapissements ». C’est ainsi « qu’a
été engendrée en femme la Bête Glatissante ».
Tout l’attirail mythologique est ici réuni pour faire de
cette fille de roi une femme-vampire, devenue telle non seulement par son union
avec l’Incube, entité vampirique, mais encore et surtout parce qu’elle se
livrait à la « magie noire » et qu’elle prétendait, par ses désirs
incestueux, bouleverser l’ordre du monde. Cet ordre est bel et bien bouleversé :
c’est pourquoi la Bête Glatissante, autre métamorphose du Vampire, produit de
deux vampires, s’en va ravager le monde. Il faudra qu’un bon chevalier tue la bête, c’est-à-dire pratique l’exorcisme
nécessaire, pour que cet ordre du monde soit rétabli. Abraham van Helsing ne
manque pas de modèles mythologiques.
Toujours à l’intérieur du cycle arthurien, il est un autre
personnage dont les composantes circéennes, et par conséquent vampiriques, ne
font aucun doute. Il s’agit de Morgane la Fée, présentée comme la demi-sœur du
roi Arthur, entité complexe s’il en fut [85] , à tel point qu’il est
impossible d’en saisir l’essence dans sa totalité. Issue d’une antique
tradition celtique de Bretagne insulaire, mais sous le nom de Modron (« Maternelle »),
mère du jeune dieu de lumière Mabon (« filial »),
lui-même prisonnier des forces des Ténèbres, Morgane a toutes les caractéristiques
de la Déesse-Mère. Dans le dernier volet du cycle, la
Mort du roi Arthur , elle est la reine de l’île merveilleuse d’Avalon, ce
paradis celtique, cette « île des Pommiers » tellement décrite dans
les récits celtiques, où elle veille sur Arthur en
dormition , en fait en état de non-mort. Dans la Vita Merlini de Geoffroy de Monmouth, qui est le
reflet de légendes savantes, elle gouverne l’ Insula
Pomorum avec ses neuf sœurs, déchaîne ou apaise les tempêtes, et peut se
transformer en oiseau. On retrouve là l’aspect tournoyant de Circé (et celui de
la chauve-souris Dracula !), d’autant plus que des récits annexes, français,
anglais ou gallois, font de Morgane la maîtresse d’une troupe de corbeaux (ou
de corneilles) qui fondent sur les ennemis lorsque les membres du clan
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