L'énigme des vampires
sont en
danger. Et l’équivalent irlandais de Morgane est Morrigane (ou Morrigu ), dont le nom signifie « grande
reine ». Or cette Morrigane, sorte de déesse de la guerre et de l’amour, apparaît
très souvent sous la forme d’une corneille tournoyant au-dessus des combattants.
Elle fait partie de cette triade divine Morrigane-Bodb-Macha, en réalité trois
visages d’une même entité, bodb signifiant
justement « corneille ». De toute façon, c’est une femme à la fois
désirable et redoutable, qui vit non seulement dans son île merveilleuse, mais
également dans les vergers enchantés, au cœur de Brocéliande.
« Elle était fort gaie et enjouée et chantait très
plaisamment ; d’ailleurs, brune de visage, mais bien en chair, ni trop
grasse ni trop maigre, de belles mains, des épaules parfaites, la peau plus
douce que la soie, avenante de manières, longue et droite de corps, bref, séduisante
à miracle ; avec cela, la femme la plus chaude
et la plus luxurieuse de la Grande-Bretagne. Merlin lui avait enseigné l’astronomie
et beaucoup d’autres choses , et elle s’y était appliquée de son mieux ;
de façon qu’elle était devenue bonne clergesse et qu’on l’appela plus tard
Morgane la Fée à cause des merveilles qu’elle fit. » C’est donc également
une sorcière, une enchanteresse, qui a reçu ses connaissances et ses pouvoirs
de l’enchanteur Merlin, lui-même fils d’un démon incube. De plus, elle jalouse
son frère Arthur, combat sournoisement la puissance de celui-ci, comme si elle
était une désorganisatrice du monde idéal que
tente de mettre en place le roi. Quant à Lancelot du Lac, dont elle est
amoureuse et qu’elle essaie sans cesse de vampiriser ,
il sait à quoi s’en tenir sur son compte : « C’était la femme qu’il
redoutait le plus au monde, sachant qu’elle avait fait plus d’une fois tort à
maints prud’hommes et à lui-même [86] . »
À cet égard, le célèbre épisode du « Val sans Retour »
est significatif. On raconte que c’est pour se venger d’avoir été trahie par
son amant que Morgane avait enchanté cette vallée, de telle sorte que tous les
chevaliers qui y pénétraient ne pouvaient plus en ressortir lorsqu’ils étaient
coupables d’une infidélité envers leur Dame. La justification est valable, mais
elle n’est qu’un prétexte : Morgane en profite pour priver le roi son
frère de tous ses chevaliers, les uns après les autres. Et que ferait un roi
sans ses guerriers, alors que les ennemis rôdent aux alentours ? Il s’agit
bel et bien d’une opération de type vampirique par laquelle Morgane fait des
chevaliers du roi des êtres à part, en quelque sorte des non-morts, dont elle
espère sans doute utiliser plus tard la métamorphose. Certes, les chevaliers
prisonniers ne sont pas malheureux : ils vivent dans ce Val sans Retour
bien davantage gardés par leurs fantasmes que par des geôliers. Mais n’est-ce
pas le propre des victimes des vampires que d’être avant tout la proie de leurs
projections fantasmatiques ? Dans ce jardin enchanté, ce louche paradis
que constitue le Val sans Retour, les victimes sont en état de rêve, en état de
dormition, et la domination de la femme-vampire se fait totale, absolue. Il
faudra que Lancelot du Lac – le seul chevalier d’Arthur qui ne soit pas
infidèle à sa Dame – pénètre dans le Val et accomplisse l’exorcisme pour que
les illusions magiques s’effondrent et que tous les chevaliers soient libérés. Le
même schéma se renouvelle dans tous ces contes et ces récits d’origine
mythologique : un être féerique, ici féminin, plus ou moins téléguidé par
des enchanteurs ou des puissances démoniaques, tente d’inverser l’ordre du
monde en recrutant littéralement d’autres
vampires en vue d’assurer l’hégémonie des entités obscures ; et seul, un
héros de lumière parvient à dissiper les ténèbres. Morgane, aspect
incontestable de la Circé grecque, est aussi, en partie tout au moins, l’équivalent
féminin du comte Dracula. Mais la suite du récit arthurien montrera que le vampire
ne disparaît jamais vraiment : Lancelot l’apprendra plusieurs fois à ses dépens.
Un autre aspect de la femme-vampire de type circéen se retrouve
dans le personnage de la princesse Turandot, héroïne d’un conte persan et dont
le dramaturge italien Carlo Gozzi tira, en 1762, une pièce de théâtre, laquelle
servit de base au célèbre opéra
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