L'énigme des vampires
imprègne les récits tant romanesques que mythologiques à
propos des vampires. Mais la réalité profonde du mythe jaillit de cet érotisme
qui a tant choqué les lecteurs du Second Empire. Ce vampire, cette Circé, capable
d’attirer les anges et de les faire damner, qui s’abandonne aux morsures de sa
victime pour mieux l’envoûter et, en lui faisant boire son propre sang, pour
mieux réaliser la fusion intime, mais qui n’oublie pas de sucer les os de cette
victime jusqu’à la moelle, cette Circé n’est qu’une non-morte, reprenant forme
le temps de s’abreuver aux sources d’énergie du vivant. Le coït accompli, même
si, d’ordinaire, « l’animal est triste », les vapeurs fantasmatiques
s’évaporent et laissent voir d’abord un cadavre gorgé de sang, puis un
squelette grinçant au vent d’hiver. La belle Circé n’est-elle donc que cela ? Non, parce que c’est une image
symbolique. Et Dracula lui-même, dans son cercueil, est intact. Ce n’est qu’après
l’exorcisme qu’il tombe en poussière. Mais Ulysse a accompli un rituel qui lui
permettait d’échapper à la morsure du vampire : une sorte de modus vivendi , un pacte de non-agression, s’établit
entre le mortel et la déesse, ce qui permet à Ulysse, du moins pour un temps, de
continuer à vivre une vie normale.
Il existe dans la tradition populaire bretonne un conte bâti
sur le même thème que l’épisode de Circé, la Sorcière
de l’île du Lok [81] . Le héros ne se
comporte pas tout à fait comme Ulysse, et si la jeune fille qui l’aime n’était
pas venue le sauver, il serait resté définitivement la proie du vampire. Ne
pouvant épouser sa fiancée parce qu’il est trop pauvre, le jeune Houarn part
chercher fortune et entend parler de la Groac’h (sorcière) de l’île du Lok : « On donnait ce nom à une fée qui
habitait le lac de la plus grande des îles de Glénan, et que l’on disait aussi
riche, à elle seule, que tous les rois réunis. Bien des gens étaient allés déjà
dans l’île pour s’emparer de ses trésors, mais aucun n’était revenu. »
Cela n’empêche nullement le courageux Houarn (ce nom signifie « fer »
en breton) d’aller sur l’île. « Il trouva sans peine l’étang placé au
milieu de cette île et qui est entouré de gazons marins à fleurs roses. »
Une barque se trouve là, en forme de cygne. Houarn y monte, mais la barque se
révèle un authentique cygne qui l’entraîne jusqu’à la demeure de la Groac’h .
« C’était un palais de coquillage qui surpassait tout
ce qu’on pouvait imaginer. On y arrivait par un escalier de cristal fait de
telle manière que, lorsqu’on y posait le pied, chaque marche chantait comme un
oiseau des bois. Tout autour, on voyait d’immenses jardins où grandissaient des
forêts de plantes marines et des pelouses d’algues vertes toutes parsemées de
diamants au lieu de fleurs. » Cette Groac’h est en fait une sirène, et ce palais enchanté se trouve sous l’eau, comme il
arrive souvent dans la tradition celtique. Mais la fée invite le jeune homme
chez elle et lui sert « huit espèces de vins, dans huit gobelets d’argent
sculptés ». Houarn s’échauffe et a de plus en plus tendance à trouver la Groac’h à son goût. Il lui parle de ses richesses, et
elle lui propose d’en obtenir la moitié, à condition qu’il veuille bien l’épouser.
Il s’agit évidemment d’un euphémisme, très logique dans une société marquée par
la morale chrétienne. Houarn oublie qu’il est fiancé à la jeune Bellah et
promet à la fée de l’épouser. Mais, pour préparer le dîner, la fée va jusqu’à
un vivier où frétillent de nombreux poissons qu’elle pêche dans un filet d’acier
en criant à chaque fois : « Eh, le procureur ! eh, le meunier !
eh, le tailleur ! eh, le chantre ! » Houarn commence à trouver
cela étrange, et lorsque la fée s’absente pour chercher du vin pendant que les
poissons sont en train de frire dans une poêle, il entend lesdits poissons lui
raconter ce qui leur est arrivé : ils ont tous épousé la Groac’h , mais, le lendemain des noces, elle les a
transformés en poissons. Houarn, qui possède un couteau magique, ayant
appartenu à saint Korentin, et qui a la propriété de lever les sortilèges, veut
sauver les malheureux poissons. Hélas ! la fée revient et jette son filet
sur Houarn qui est aussitôt métamorphosé en grenouille.
Heureusement, Houarn porte
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