L'énigme des vampires
de Puccini, Turandot .
Il s’agit là de la fille de l’empereur des Tartares qui méprise les hommes et a
une haute conscience de sa virginité. Cependant, la loi étant ce qu’elle est, elle
devra épouser un homme pour assurer la descendance de la dynastie. Mais elle s’efforce
de reculer l’échéance, tout en affirmant solennellement sa puissance, en posant
trois énigmes à ses prétendants, tous fils de rois, bien entendu. Et comme ces
trois énigmes sont insolubles, aucun des prétendants ne peut répondre et, en
conséquence, doit subir la décapitation. La rangée des têtes des prétendants s’allonge
de mois en mois ; mais rien ne vient ralentir le zèle des nouveaux qui se
présentent. On remarquera qu’ils acceptent d’avance leur destin, ce qui
démontre encore une fois la connivence entre le vampire et sa victime. On peut
comprendre que Turandot, femme-vampire, a besoin, pour survivre, du sang de ses
prétendants et qu’elle n’opère pas le transfert auquel se livrent souvent les
héroïnes circéennes, à savoir le remplacement du sang par le sperme, qui en est
le strict équivalent. Cependant, l’un des prétendants, le prince Calaf, trouve
la solution des trois énigmes. Alors Turandot s’efforce par tous les moyens de
reculer l’instant fatidique du mariage, tandis que Calaf, fou d’amour, dit-on, mais
en réalité complètement vampirisé , se laisse
tuer, autrement dit dévorer, par celle qui l’envoûte [87] .
On ne peut que rapprocher cette histoire avec l’énigmatique
tradition sur Salomé (ou Hérodiade, car on ne sait si l’héroïne primitive était
la mère ou la fille) qui, ne pouvant obtenir l’étreinte de Jean le Baptiste, obtient
sa tête sur un plateau, thème dont Oscar Wilde – encore lui ! – a su tirer
des effets saisissants, et que Richard Strauss a génialement transposé dans son
célèbre opéra. Mais, en fait, la légende de Turandot, d’expression persane, ne
fait que reprendre un schéma répandu universellement. On le reconnaît aisément
dans un récit irlandais assez ancien, les Aventures d’Art,
fils de Conn . Le héros, après un long périple initiatique, doit pénétrer
dans la forteresse de Coinchend, dont le nom signifie « tête de chien »,
forteresse sise dans une île étrange, et dont les abords sont hérissés de
palissades portant, sur chacun des pieux, une tête d’homme coupée. On a
prophétisé en effet que Coinchend, maîtresse de cette forteresse, et
authentique femme-vampire, périrait le jour où sa fille Delbchaen épouserait un
homme, et c’est pourquoi elle a hérissé la route qui mène à sa demeure de
pièges en tous genres auxquels il est difficile d’échapper. Bien sûr, Art
franchit toutes les épreuves, mais Coinchend et ses deux sœurs qui reçoivent le
héros, lui tendent deux coupes dont l’une contient un breuvage empoisonné. Seulement,
Art a néanmoins subi une certaine initiation : il sait quelle coupe
choisir. Il réussit l’exorcisme, coupe la tête de Coinchend et repart avec la
fille [88] . Des détails analogues
figurent dans le récit gallois de Kulhwch et Olwen ,
le premier récit littéraire arthurien : le père d’Olwen, la jeune fille
que Kulhwch doit épouser, en vertu d’une prophétie identique, fait mettre à
mort tous les prétendants dont les têtes sont fichées sur des pieux tout autour
de la forteresse. Et le père d’Olwen, Yspaddaden Penkawr (« à la grosse
tête »), est un géant dont un des yeux peut foudroyer celui qu’il regarde :
voilà encore un personnage vampirique de la plus belle essence [89] .
Dans un conte populaire de Bretagne armoricaine, la Saga de Yann , l’aspect de la femme-vampire est
quelque peu édulcoré, mais il n’en a pas moins une portée considérable. Ce
conte est très complexe [90] , car, sur un schéma
archaïque, il greffe quantité d’éléments appartenant à d’autres contes de type
différent. En bref, il s’agit d’un jeune homme qui s’en va dans le vaste monde
pour chercher fortune, en compagnie d’un étrange cheval, lequel n’est autre que
le père réel du jeune homme, authentique sorcier en tout cas. À la suite de
multiples aventures où interviennent le roi des bêtes sauvages, le roi des
poissons et le roi des fourmis, Yann, au service du roi de Bretagne, doit demander
en mariage, pour le compte de celui-ci, la splendide fille du roi Fortunatus. Il
l’obtient et retourne à la cour du roi de Bretagne. Mais au
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