L'énigme des vampires

cours de la
navigation du retour, la princesse, furieuse d’avoir été gagnée contre son gré, lui dit : « Il faut
bien que je quitte mon père pour aller avec toi près du roi de Bretagne qui m’a
demandée pour épouse. Mais avant de me posséder, il aura du fil à retordre, car
il ne faut pas croire que je ne lui trouverai pas de besogne, et à ses gens
aussi. » L’avertissement n’est pas de pure forme. « Adieu, mon père, adieu,
gens de mon pays, adieu, mon beau château, toi qui es supporté par quatre
chaînes d’or, et par quatre lions, les plus forts de toute la contrée ! J’étais
heureuse lorsque j’y habitais ! Et tes clefs d’or, à quoi me
serviront-elles désormais ? » Alors, délibérément, la princesse jette
ses clefs d’or dans la mer.
    Le détail du château merveilleux laisse à penser que la princesse
n’est pas tout à fait un personnage humain. Est-ce une femme-vampire, et son
château supporté par quatre chaînes d’or et quatre lions n’est-il pas l’équivalent
du nid d’aigle du comte Dracula ? Et la princesse fait tout ce qui est en
son pouvoir pour diriger elle-même les événements et affirmer ainsi sa
puissance, laquelle, si elle n’est point présentée comme magique, apparaît
comme redoutable. Elle se refuse en effet à épouser le roi de Bretagne tant qu’on
ne lui aura pas ramené, intact, son château merveilleux. Cette chose impossible,
le roi de Bretagne va la demander à Yann, et bien entendu, Yann, toujours aidé
par son cheval et par les animaux, va réussir l’entreprise.
    Mais la princesse est furieuse. Elle refuse d’épouser le roi
tant qu’on ne lui aura pas ramené ses clefs, sans lesquelles son château ne lui
servirait à rien. Encore une fois, le roi de Bretagne s’adresse à Yann, et
celui-ci, grâce au roi des poissons, retrouve les clefs d’or qui sont ainsi
rendues à la princesse. La fureur de celle-ci ne connaît plus de bornes. Elle
refuse d’épouser le roi, à moins qu’il ne condamne Yann à être brûlé sur un
bûcher comme un vulgaire hérétique. Le roi est bien ennuyé, lui qui doit tout à
Yann. Mais l’ingratitude des puissants de ce monde est bien connue ; pour
posséder la princesse, il est prêt à tout, et le supplice de Yann est décidé.
    Heureusement, le cheval-sorcier (est-ce un ange gardien ou
un démon familier du jeune homme ?) est en mesure de remédier à cette
tragique situation. Sur ses indications, Yann s’enduit tout le corps d’une
bizarre lotion, et se jette lui-même dans les flammes du bûcher. « Tout le
monde s’attristait sur Yann. On disait que c’était un péché de brûler un aussi
beau garçon, un garçon qui avait un si bon cœur. C’est alors que Yann sauta du
milieu du brasier, tremblant de froid de tous ses membres. Il disait qu’il ne
pouvait pas s’en empêcher. Tous dirent que c’était un miracle et que Yann
devait être un saint ou un diable. » Et le plus fort, c’est que Yann est
bien plus beau qu’il ne l’était auparavant, à tel point que la princesse en
tombe amoureuse. Elle fait remarquer la beauté de Yann au roi de Bretagne et
invite celui-ci à subir l’épreuve du feu pour se rajeunir et devenir plus beau.
Le roi, sans plus réfléchir, fait apporter un autre bûcher, le fait allumer et
s’y précipite. « Et le feu ne dura pas longtemps : en un instant, le
roi fut étouffé, brûlé et réduit en cendres. » Ainsi débarrassée du roi de
Bretagne, la princesse propose à Yann de l’épouser, disant que c’est justice
puisque c’est lui « qui a fait tout le travail ». C’est ainsi que « Yann
fut heureux avec elle toute sa vie, et elle fut aussi bonne pour lui qu’elle
avait été fière et méchante auparavant avec le vieux roi ».
    Du moins, on l’espère. Car cette conclusion optimiste, comme
il se doit dans pareille sorte de conte, pose quelques questions. La princesse,
fille du roi Fortunatus, est un personnage « entre ciel et terre », la
situation de son château nous l’indique assez, et son attitude, comme celle de
Turandot, est spécifiquement vampirique : il lui faut une victime pour s’en
nourrir, et, au fond, peu importe que ce soit Yann ou le roi de Bretagne. Quant
à Yann, sa nature n’est pas très nette. Il serait fils d’un incube que cela n’étonnerait
personne, et sa métamorphose, sur le bûcher, justifiée par la magie de son père
sorcier, constitue un changement d’état. Serait-il devenu