L'énigme des vampires
Atlantide , a réussi à faire de son héroïne Antinéa
le type achevé et sans âge de la femme-vampire, femme fatale, cruelle et
pourtant prometteuse de tout l’amour et de toute la sensualité du monde. C’est
une autre Circé, une autre Morgane, une autre Turandot. Mais on comprend bien
que, comme le dit Gérard de Nerval, lorsque « la treizième revient, c’est
encore la première ». C’est là que résident l’éternité du mythe et surtout
sa résonance dans les fantasmes de l’humanité. Antinéa, cette reine d’une
Atlantide ignorée en plein Sahara, échappée au temps et à l’espace, ne peut en
fait survivre que parce qu’elle garde, précieusement momifiés, les cadavres de
ses amants d’un jour, des malheureux qui, éblouis par la splendeur de ses
jardins secrets, ont partagé son lit, le temps d’une étreinte, et se sont vidés
de toute énergie vitale, celle-ci étant aspirée goulûment par la femme-vampire
qui guette, au milieu des sables, la proie qui va s’offrir à la faveur des
mirages.
Cette amplification romanesque de la « femme fatale »,
renforcée par l’attitude ambiguë d’un public foncièrement misogyne ou
simplement méfiant envers la femme définie par le Christianisme classique, a
provoqué l’apparition de ce qu’on appelle la vamp ,
type cinématographique de la femme qui épuise ses amants aussi bien
intellectuellement et financièrement que matériellement, et dont, malgré tout, l’attirance
qu’elle exerce est si puissante que nul ne peut s’en prétendre à l’abri. Et c’est
surtout au cinéma, puis dans la bande dessinée, que s’est manifestée le plus
ouvertement la vamp , dont le nom, faut-il
ajouter, est une explicite référence au vampire traditionnel.
Cette apparition de la vamp cinématographique date de 1915 et prit l’aspect de l’actrice Théda Bara, épouse
du metteur en scène Charles Brabin, réalisateur, entre autres, du Masque de Fu-Manchu . Le pseudonyme de Théda Bara
était transparent, puisqu’il s’agit de l’anagramme de Arab Death , ou « mort arabe ». « Les
publicitaires entourèrent cette actrice ainsi que plus tard Béla Lugosi (le
premier interprète de Dracula) d’innombrables objets macabres. On lui édifia
une demeure dont la porte rappelait un mausolée ; on exigea qu’elle vive
au milieu de sarcophages, de crânes et d’instruments étranges… Les journaux à
sensations la représentaient dans des pièces drapées de noir, parmi les
fumigations d’encens, servie avec dévotion par d’innombrables esclaves de
couleur. On prétendit, en raison de sa supposée naissance saharienne, de
fabuleux et troublants pouvoirs [91] . »
On voit que Pierre Benoit, avec son Antinéa, n’a fait que
suivre une mode solidement charpentée depuis les studios d’Hollywood. Mais c’était
une époque où l’on commençait à se bercer des fumées délétères autant que
maléfiques d’un prétendu exotisme. Qu’importe, l’image stéréotypée de la vamp était née, et elle allait avoir une abondante
postérité. Il suffit d’ouvrir un livre sur l’histoire du cinéma, ou de
fréquenter les ciné-clubs pour s’en convaincre…
Certes, cette image est devenue fausse ; à force de
conventions, d’interdits moraux – ou, au contraire, d’outrances érotiques !
–, la vamp s’est considérablement dévaluée au
cours des décennies qui nous précèdent. Il n’en reste plus que quelques belles
photos pour illustrer les ouvrages spécialisés. C’est pourquoi il convient de
donner une place privilégiée à un étrange film inclassable (il n’est même pas
classé « X » !) du réalisateur japonais Oshima Nagisa, intitulé
en français l’Empire des Sens . Ici, l’image
fanée de la vamp est complètement battue en
brèche, néantisée au profit du mythe primitif de la Mante Religieuse, Circé ou
Morgane, par une extraordinaire concentration des caractéristiques attribuées à
ce type de personnage. L’Empire des Sens , bien
que le mot « vampire » n’y soit jamais prononcé, bien qu’aucune
allusion directe ne soit faite à ce thème, est sans aucun doute le plus réussi
– et aussi le plus hallucinant – de tous les films consacrés au vampirisme. On
jugera cette affirmation bien téméraire. Pourtant, l’action et les images du
film n’ont guère besoin d’être explicitées.
Le sujet est simple : une femme et un homme, couple
illégitime, bien entendu, passent leur temps à
Weitere Kostenlose Bücher