L'énigme des vampires
faire l’amour dans une maison de
rendez-vous, où l’atmosphère, il faut bien le dire, évoque davantage Huis clos de Jean-Paul Sartre que les « verts
paradis des amours enfantines » si chers à Baudelaire et qui
caractériseraient les îles merveilleuses de la tradition celtique. De toute
évidence, c’est la femme qui domine l’homme, c’est elle qui en veut : elle est à la recherche d’une
jouissance qui ne s’arrêterait jamais, d’un orgasme à la fois fulgurant et
éternel. On devine où cela peut conduire : de pratique en pratique, de
jour en jour, la femme, toujours inassouvie, en vient à étrangler l’homme
pendant le coït, atteignant probablement, par cet acte insensé mais logique, la
plénitude qu’elle attendait. Et, aussitôt après, elle coupe les parties
sexuelles de l’homme afin de les emporter avec elle, dans son errance – et dans
sa folie.
Certaines images sont insoutenables. C’est pourquoi les amateurs
d’érotisme, ou plutôt de pornographie, se sont montrés déçus par ce film. Il va
en effet bien au-delà, et plonge au fond même de la nature humaine. L’auteur ne
juge pas, d’ailleurs ; il ne donne aucune leçon de morale, aucun conseil. Il décrit . Et ce qu’il décrit, c’est le comportement
exact d’une femme-vampire qui suce les os jusqu’à la moelle de cet homme, proie vivante, victime consentante, qui le vide de son énergie
jusqu’à l’ultime réflexe biologique, à savoir l’éjaculation due à l’étranglement,
donc à la mort. Et cette femme, ce n’est pas un hasard, est toujours sur l’homme au moment de l’étreinte. Il y a là, dans
ces images terrifiantes, l’essentiel de ce qu’on pourrait dire sur la femme-vampire.
Circé de bas quartier ? Assurément. Morgane dans un Val sans Retour devenu
bordel ? Sans aucun doute. Turandot réincarnée dans la peau d’une pauvre
fille ? Certainement. Mais une chose est encore plus assurée : c’est
la Mante Religieuse dans toute sa splendeur et dans toute son atrocité. Et qu’on
le veuille ou non, qu’on partage la dialectique de Jacques Lacan ou que l’on
soit simplement adepte de la Kabbale phonétique, la Mante
Religieuse , c’est aussi l’ Amante Religieuse .
III - LE VAMPIRE AMOUREUX
Il est très rare qu’un vampire soit réellement amoureux, du
moins le vampire du type de Dracula, tel qu’il est présenté par Bram Stoker. Le
sinistre comte est même aux antipodes de l’attitude amoureuse : il prend, il
domine, mais il ne donne rien en échange, et son but étant la désorganisation
du monde, il ne peut en aucun cas ressentir ce don total de soi que suppose un
amour véritable. Dracula joue de l’érotisme, et non pas de l’amour, pour mieux
asservir ses victimes et en faire des esclaves dociles. Les trois
femmes-vampires qui constituent son « harem », dans son château, sont
des objets pour lui, objets auxquels il commande avec brutalité, sans jamais
faire preuve d’une quelconque pulsion altruiste. Il en est de même avec Lucy Westenra
et Mina Harker.
Le problème est différent quand on examine l’attitude des
femmes qui sont la proie du vampire. Lucy et Mina sont presque amoureuses de leur bourreau. Les trois
femmes du château également. Mais l’ambiguïté demeure. Certes, Lucy et Mina
finissent par se donner ,
totalement pour la première, partiellement pour la seconde (ce qui lui permet
de survivre à l’exorcisme), mais elles agissent en état d’inconscience, en état
d’hypnose : c’est au fond leur trouble sexualité qui se révèle et non pas
un pur sentiment. On pourrait en dire autant de la Carmilla de Shéridan Le Fanu
dont l’homosexualité est lentement réveillée par la femme-vampire qui l’assaille
dans ses rêveries nocturnes.
Par contre, la Clarimonde de Théophile Gautier est, comme le
titre de la nouvelle l’indique, une morte amoureuse ,
puisant sa survie autant dans l’amour profond qu’elle ressent pour Romuald que
dans le sang de celui-ci qu’elle absorbe avec parcimonie. Mais il est exclu que
Circé soit amoureuse des navigateurs qu’elle transforme en animaux. Il est
exclu que Morgane soit amoureuse des chevaliers qu’elle enferme dans le Val
sans Retour. Quant aux femmes qui copulent avec des incubes, elles sont avant
tout victimes de leurs propres pulsions sexuelles, et il en est de même pour l’héroïne
de l’Empire des Sens . L’attitude érotique des
vampires et de leurs victimes conduit à une
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