L'énigme des vampires
négation, à une destruction, ce qui
est évidemment le contraire de l’amour.
Car l’amour est avant tout un don total de l’un et de l’autre,
la fusion spirituelle et sensuelle du sujet et de l’objet à tel point qu’il ne
peut plus exister de différence entre ce sujet et cet objet. Il y a donc
création d’un nouvel être, conséquence de la fusion, même si, sur le plan
proprement matériel, il n’y a pas naissance d’un enfant. C’est dire que l’amour
est créateur, tandis que la sexualité pure est destructrice. Cette sexualité ne
peut être créatrice que lorsqu’elle est intégrée dans cet ensemble complexe qu’est
l’amour : Dieu a créé l’univers et l’être humain par amour ; c’est pourquoi Satan, l’Ennemi, s’efforce
de détruire l’univers et l’être humain, lui l’Ange révolté, qui ne trouve sa
survie dans les Ténèbres que par un acte de haine. Mais, à bien y réfléchir, l’Amour
et la Haine ne sont que les deux manifestations d’une même et unique réalité :
leur différence – et donc leur opposition fondamentale – réside dans la polarité .
Or, le vampire, qui est un non-mort, mais qui n’est plus
tout à fait un vivant, se trouve dans une situation embarrassante : il ne
survit que parce qu’il suce la vie des autres, étant incapable par lui-même d’assurer
sa propre vie. Et comme le répètent tous les vampires et assimilés, « le
sang, c’est la vie ». Mais si le vampire ne peut assumer l’acte d’amour
dans sa totalité, il lui faut un substitut. Et ce substitut, c’est cette
fameuse succion du sang dans les veines du cou de sa proie, geste éminemment érotique
par lequel il s’empare de l’autre, ne pouvant y parvenir par le coït. Le drame
est qu’ il prend , qu’il prend toujours plus, mais
qu’ il ne donne rien en échange. Il ne le
pourrait pas d’ailleurs, même s’il le voulait. Tout se passe dans un monde
inversé, caricatural. Mais cela indique d’une façon parfaitement nette le rôle
essentiel du sang à la fois dans la vie et
dans l’amour, ces deux notions étant, à la limite, absolument identiques.
Goethe, dans son Faust , au
moment où il est question de signer le fameux pacte avec le Diable, fait dire à
Méphisto cette phrase pleine de sous-entendus : « Le sang est un suc tout particulier. » On a
commenté la plupart du temps cette phrase en insistant sur l’ironie que
Méphisto mettait à la prononcer, ce qui conduit à l’explication suivante :
le sang est la vie, et puisque le Diable est l’ennemi de la vie, il est donc l’ennemi
du sang. Dans une conférence intitulée justement « le Sang est un suc tout
particulier [92] », Rudolf Steiner
rejette catégoriquement cette interprétation et en propose une autre, à vrai
dire beaucoup plus en accord avec la symbolique du sang : « Il est
bien plus vraisemblable de penser que… Goethe a voulu souligner que, pour le
Diable, le sang a quelque chose de très particulier et qu’il n’est pas
indifférent que le pacte soit signé avec de l’encre ou avec du sang. Il est
impossible de ne pas supposer que le représentant des forces du Mal croit – il
en est même certain – qu’il aura Faust d’autant plus dans la main qu’il se sera
rendu possesseur d’au moins une goutte de son sang. Personne ne peut comprendre
ce passage autrement : si Faust doit signer avec du sang, ce n’est pas
parce que le Diable est l’ennemi du sang, mais parce
qu’il veut se rendre maître du sang . Cela repose sur le sentiment très
curieux que se rendre maître du sang d’un homme, c’est
le posséder tout entier … »
Telle est l’explication la plus rationnelle de ce fameux
pacte qu’un homme signe avec le Diable, de son propre sang, de telle sorte qu’il donne son âme en même temps que son sang. C’est
aussi la justification de l’acte vampirique par excellence : la succion du
sang. Par cette succion et cette absorption du sang de l’autre, le vampire
prend possession de la vie de cet autre, c’est-à-dire qu’il le possède tout
entier. On comprend alors pourquoi les victimes des vampires deviennent aussi
des non-morts : elles ne se possèdent plus elles-mêmes, puisque ayant
donné, ne serait-ce qu’une goutte, une partie de leur sang, c’est leur vie, leur moi , qu’elles ont livré ainsi à l’Ennemi. Et
ce don, effrayant et sans appel, est incontestablement l’équivalent de l’acte d’amour
par lequel un être se
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