L'ennemi de Dieu
grands précipices et de hautes montagnes de rocs
déchiquetés que de petits ruisseaux blancs dévalaient en cascade vers des lacs
de tourbe. Les montagnes semblaient n’avoir ni fin ni refuge, car alors que je
planais sur les ailes de mon rêve je ne vis ni maisons ni cabanes, ni champs,
ni troupeaux, ni bergers, pas âme qui vive, juste un loup filant entre l’à-pic
et les ossements d’un cerf prisonnier d’un épais bosquet. Le ciel au-dessus de
moi était gris comme une épée, les montagnes au-dessous aussi noires que du
sang séché, et l’air sous mes ailes froid comme un couteau dans les côtes.
« Rêve,
mon amour », murmurait Nimue. Et dans mon rêve, je me laissai porter par mes
larges ailes pour voir de plus près une route qui serpentait entre les collines
obscures. C’était une route de terre battue, brisée par les rochers, qui
suivait son cours cruel d’une vallée à l’autre, tantôt grimpant jusqu’à des
passes lugubres pour redescendre vers les rochers à nu d’une autre vallée. La
route longeait des lacs noirs, traversait des gouffres béants et ombragés,
contournait des collines enneigées, mais continuait toujours plus au nord. C’était
un nord que je ne connaissais pas, mais c’était un rêve où le savoir n’a que
faire de la raison.
Les ailes du
rêve me rapprochèrent de la surface de la route. Soudain je ne volais plus,
mais suivais la route grimpante en direction d’une passe. De part et d’autre,
les pentes étaient couvertes de plaques d’ardoise ruisselantes, mais quelque
chose me dit que la route s’arrêtait juste après la passe. Que si seulement je
pouvais continuer à marcher sur mes jambes fatiguées, je franchirais la crête
et trouverais le désir de mon âme de l’autre côté de la crête.
Je haletais
maintenant, respirant par pénibles secousses tout en parcourant en rêve les
tout derniers pas de la route. Et soudain, au sommet, je vis la lumière, la
couleur et la chaleur.
Car la route
redescendait vers la côte bordée d’arbres et de champs et, au-delà de la côte,
une mer brasillante au milieu de laquelle on apercevait une île. Et au milieu
de l’île, soudain baignée de soleil, un lac. « Là ! » m’écriai-je.
Car je savais que l’île était mon but, mais à l’instant même où il semblait que
j’eusse retrouvé assez d’énergie pour parcourir les derniers kilomètres de
route et plonger dans cette mer ensoleillée, une goule se mit en travers de mon
chemin. Une chose noire dans une armure noire et qui crachait du limon noir, et
tenant dans sa main griffue une épée à lame noire deux fois longue comme
Hywelbane. Elle me provoqua en hurlant.
Et je hurlai
moi aussi, et mon corps se raidit dans l’étreinte de Nimue.
Ses bras s’agrippaient
à mes épaules. « Tu as vu la Route de Ténèbre, Derfel, murmura-t-elle, tu
as vu la Route de Ténèbre. » Et soudain elle s’arracha à mes bras, le
manteau qui me couvrait le dos disparut et je tombai en avant sur l’herbe mouillée
du Dolforwyn tandis qu’un vent glacé tourbillonnait autour de moi.
Je restai
allongé là de longues minutes. Le rêve était passé, et je me demandais quel
rapport il y avait entre la Route de Ténèbre et le désir de mon âme. Puis je me
jetai de côté et vomis, et soudain j’eus à nouveau les idées claires et j’aperçus
la coupe d’argent tombée juste à côté de moi. Je la pris, me redressai et vis
Merlin qui m’observait de l’autre extrémité de la Pierre royale. Nimue, sa
maîtresse et prêtresse, se tenait à côté de lui, son corps mince enveloppé d’un
ample manteau noir, sa chevelure noire nouée par un ruban, et son œil d’or
scintillant au clair de lune. Gundleus lui avait arraché l’œil de cette orbite,
et il avait payé cette blessure au centuple.
Aucun des deux
ne dit mot. Ils se contentèrent de me regarder vomir dans un ultime spasme,
retrousser les lèvres, secouer la tête puis tâcher de me relever. Mon corps
était encore faible, ou c’est la tête qui me tournait, car je ne parvins pas à
me relever. Je retombai à genoux à côté de la pierre et m’appuyai sur mes
coudes. De légers spasmes continuaient à me secouer de temps à autre. « Que
m’avez-vous fait boire ? demandai-je en replaçant la coupe d’argent sur le
rocher.
— Je ne t’ai
rien fait boire, répondit Merlin. Tu as bu de ton plein gré, Derfel, de même
que tu es venu ici de ton plein gré. » Si malicieuse sous
Weitere Kostenlose Bücher